Cameroun, prorogation imminente du mandat des députés 

C’est l’économie du projet de loi Nº2061/PJ/AN portant « Prorogation du Mandat des députés à l’Assemblée Nationale ». Ce projet de loi a été déposé au bureau de la 10eme législature de l’Assemblée Nationale ce samedi 06 juillet lors de la séance plénière présidée par le Très honorable Cavayé Yéguié Djibril, président de cette auguste chambre du parlement camerounais. S’appuyant sur l’article 15 alinéa 4 de la Constitution du 18 janvier 1996, lequel article dispose : « En cas de crise grave ou lorsque les circonstances l’exigent, le Président de la République peut, après consultation du Président du Conseil Constitutionnel et des bureaux de l’Assemblée Nationale et du Sénat, demander à l’Assemblée Nationale, de décider, par une loi, de proroger ou d’abréger son mandat ». Peu avant la session plénière, la conférence des présidents qui s’était réunie un peu plus tôt avait donné un avis favorable à ce texte qui est actuellement examiné à la Commission des Lois Constitutionnelles de l’AN.

Dans le cas de ce projet de loi, c’est clairement le deuxième volet de cet article – celui de la prorogation plutôt que de l’abrogation – qui est envisagé. Pour le gouvernement, qui est à l’initiative de ce texte, la prorogation envisagée est justifiée par les « circonstances ». Concrètement, il est évoqué « la nécessité d’alléger le calendrier électoral qui prévoit jusqu’à 04 élections au cours de l’année 2025 ». Suivant ce texte qui se limite uniquement à envisager une prorogation du mandat des députés, à l’exclusion de celui des conseillers municipaux, dont les deux scrutins se tiennent traditionnellement en formule couplée, trois des quatre scrutins annoncés en 2025 sont, sauf changement ultérieur, maintenus. Il s’agit de l’élection des conseillers régionaux qui, aux dires même du projet de loi, ne nécessitent pas un important « déploiement humain », « matériel » et « financier » ; de l’élection présidentielle dont la loi fondamentale ne prévoit aucune disposition accordant au chef de l’État la possibilité de la proroger et celui des conseillers municipaux qui pourrait tout de même faire l’objet d’un projet de loi distinct suivant les formalités administratives. Pour nombre d’analystes politiques, il ne fait aucun doute que le mandat des conseillers municipaux fera lui aussi l’objet d’une prorogation ultérieure. Lesdits scrutins seront étalés sur l’année 2026, dispose le projet de loi. Ainsi, le mandat en cours des députés, sensé se terminer le 10 mars 2025 est prorogé au 30 mars 2026, annonce le projet de loi en étude dans la chambre basse du Parlement camerounais.

Une prorogation aux allures d’exclusion ou de punition politique

Le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC), le parti du Pr. Maurice KAMTO, leader de l’opposition camerounaise suivant le classement officiel de la présidentielle 2018, serait le principal parti impacté par cette décision qui, sous réserve d’une prorogation subséquente du mandat des conseillers municipaux, se verrait déchoir de sa capacité d’investir un candidat pour la présidentielle à venir. Cette déchéance est la conséquence immédiate de sa décision de boycotter les élections municipales et législatives de 2020. Il restera alors au Pr. Maurice Kamto, candidat d’ores et déjà déclaré pour la présidentielle de 2025 de procéder par la voie du candidat indépendant. Là encore il lui faudra obtenir les 300 parrainages requis, à raison de 30 par région, comme le dispose le code Électoral. Une hypothèse très peu crédible compte tenu de la forte emprise et du verrouillage politique du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC) sur le paysage politique local. Une autre voie possible de validation de sa candidature serait de se présenter sous la bannière d’un autre parti politique allié, remplissant les conditions prévues par le Code Électoral.

Vers une jurisprudence KAMTO ?

Toutefois, la doctrine publiciste évoque l’éventualité d’une candidature sous la bannière d’une coalition de partis politiques constituée de partis disposant des élus. Pour sous-tendre leurs dires, ils évoquent l’absence d’une disposition constitutionnelle autorisant le mandat impératif. C’est cet argument qu’avançait le candidat lui-même, désormais réuni autour de l’Alliance Politique pour le Changement (APC), une plateforme multi-partisane qui entend apporter l’alternance politique aux camerounais en 2025. Il renchérit en convoquant l’alinéa 3 de l’article 15 de la loi fondamentale du Cameroun, lequel dispose clairement : « Tout mandat impératif est nul ».

La principale conséquence de cette disposition étant qu’il suffirait au MRC que des citoyens élus sous la bannière des autres partis politiques décident de quitter leur ancien pour rejoindre ses rangs ou une coalition dont il est membre pour qu’il se voit désormais remplir la condition de l’élu, l’élu appartenant à la Nation et non à un parti politique, argumentent les tenants de cette thèse. À l’opposé, se trouvent les partisans d’une interprétation moins extensible, à la vérité restrictive de cet article pour qui le statut de l’élu « ne se transfère pas » mais « s’acquiert » au nom d’un individu pour le compte d’un parti politique, encore que le Code Électoral ne connait pas le candidat investi par une coalition de partis politiques, fusse-t-elle constituée d’élus, renchérissent-ils. Un débat dont la conclusion judiciaire ferait immanquablement jurisprudence.

Néanmoins, le problème disparaîtrait de lui-même si d’aventure les élections municipales devraient être maintenues. Un privilège qui relève du seul pouvoir discrétionnaire du Président de la République.

Nguelifack Vijilin Cairtou

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