Russie-Chine : une relation renforcée par la guerre en Ukraine malgré une rivalité régionale
Le président chinois Xi Jinping est arrivé lundi 20 mars à Moscou pour une visite officielle de trois jours. L’occasion pour lui et son homologue Vladimir Poutine de réaffirmer les liens qui unissent la Russie et la Chine alors que les deux voisins affichent une rivalité régionale.
Le président chinois Xi Jinping (entamait alors) une visite officielle de trois jours à Moscou, où il a été reçu par son homologue russe, Vladimir Poutine. Si les deux dirigeants se sont vus régulièrement depuis dix ans, cette rencontre est la première depuis la réélection de Xi Jinping à la tête de son pays et surtout depuis le mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale (CPI) à l’encontre du chef du Kremlin pour des crimes de guerre en Ukraine.
Dans un article publié lundi dans un journal chinois, Vladimir Poutine a estimé que “les relations russo-chinoises ont atteint le point culminant de leur histoire” et que la qualité des liens entre Moscou et Pékin était “supérieure à celle des unions politiques et militaires des temps de la Guerre froide”. Lors d’un sommet en Ouzbékistan en septembre, le président russe avait déjà salué son homologue chinois comme son “vieil ami”.
À son arrivée en Russie, Xi Jinping s’est de son côté dit persuadé que sa visite donnerait un “nouvel élan” à la relation sino-russe.
Une relation renforcée
Le 24 février 2022, Vladimir Poutine a durablement bouleversé la géopolitique mondiale en décidant d’envahir l’Ukraine. La guerre a contribué à renforcer les relations entre les deux pays qui faisaient déjà face au bloc occidental. Affecté par de lourdes sanctions, Moscou a réorienté une partie de son économie vers son grand voisin asiatique. La Chine a largement augmenté ses importations d’hydrocarbures (pétrole et gaz) provenant de Russie – sécurisant ainsi ses approvisionnements énergétiques –, tout en exportant des technologies et des voitures vers son voisin russe. Au total, les échanges commerciaux sino-russes ont enregistré une hausse de 34 % sur un an, atteignant en 2022 un montant record de 190 milliards de dollars (177 milliards d’euros), selon les douanes chinoises.
“Du fait de la guerre et des sanctions, la Russie se prive d’un certain nombre de clients occidentaux, notamment de l’Union européenne, sur les produits gaziers et pétroliers. Elle en vend en Asie, notamment à la Chine”, indique Emmanuel Véron, docteur en géographie et spécialiste de la Chine contemporaine et des relations internationales à l’Inalco. Un rapprochement sino-russe qui “se confirme, se densifie, s’intensifie depuis plus de dix ans” avec l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping et le retour à la présidence russe de Vladimir Poutine en 2012, ajoute Emmanuel Véron.
“Les relations entre les deux pays n’ont fait que croître” depuis 1994, précise Cyrille Bret, chercheur associé sur la Russie et l’Europe orientale au sein de l’Institut Jacques Delors et enseignant à Sciences Po Paris, “après la résolution du différend frontalier à la frontière russo-chinoise entre la Sibérie et l’Extrême-Orient russe”, mais aussi depuis “le traité d’amitié russo-chinois et la création de l’Organisation de la coopération de Shangaï (OCS) en 2001”.
Chaque crise avec l’Occident “est l’occasion de renforcer la coopération” russo-chinoise, indique Cyrille Bret, même si, au sujet de la guerre en Ukraine, la Chine a adopté une position d’équilibriste : Pékin ne condamne pas l’invasion russe, mais ne soutient pas explicitement Moscou pour autant.
Sur le plan militaire, les deux pays procèdent à des exercices militaires conjoints, comme en septembre avec l’opération “Vostok 2022” en Extrême-Orient, malgré le conflit ukrainien. Plus récemment, l’armée russe a annoncé mercredi 22 mars 2023, avoir effectué des exercices navals en mer d’Arabie conjointement avec la Chine et l’Iran.
“Dissymétrie dans la relation sino-russe”
Des liens forts qui ne doivent pas faire oublier les divergences et rivalités entre les deux voisins. Sur la question économique, la Chine, deuxième puissance mondiale, dispose d’un secteur technologique dynamique et d’une industrie manufacturière de pointe, au contraire de la Russie, dont l’économie était en 2022 environ dix fois plus petite, selon des estimations de la Banque mondiale. “La Russie a peur de la taille de la Chine, en termes de population et de PIB. Et Pékin a peur de l’imprévisibilité de Moscou dans ses relations avec l’Europe”, indique Cyrille Bret. Emmanuel Véron évoque de son côté la “dépression démographique et économique” d’une Russie “investie par les acteurs chinois”. L’expert met en avant l’exemple de la Sibérie. “Administrativement, la zone est russe. Mais économiquement et démographiquement, la force est chinoise”, précise-t-il.
Sur le plan diplomatique, Pékin et Moscou ne sont pas toujours sur la même longueur d’onde. Ce fut le cas notamment en 2016 lorsque la Russie a fait campagne pour l’adhésion de l’Inde – l’un des grands rivaux de la Chine en Asie – au sein de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS). “La réponse de la Chine a été immédiate. Elle a soutenu l’entrée du Pakistan, pour gêner l’Inde”, explique Cyrille Bret.
S’ajoute à cela une lutte d’influence en Asie centrale. Regroupant les anciennes républiques soviétiques du Kazakhstan, du Tadjikistan, du Turkménistan, du Kirghizstan et de l’Ouzbékistan, cette région est “sous influence séculaire russe depuis (l’impératrice) Catherine II”, rappelle Cyrille Bret. La rivalité chinoise se concrétise notamment avec les “Nouvelles routes de la soie” du président Xi Jinping.
“Il y a une dissymétrie dans la relation sino-russe. Les Russes se sentent déclassés chez eux, dépassés par la force économique et la puissance chinoises, mais aussi dans leur sphère d’influence historique post-soviétique“, conclut Emmanuel Véron.
Ce qui n’empêche pas un rapprochement certain et croissant ajoutons-nous…
Sources, Elie SAIKALI, Russie-Chine : une relation renforcée par la guerre en Ukraine malgré une rivalité régionale (france24.com), Avec AFP.