Conflit russo-ukrainien, et le XXIème siècle commença

L’observateur, même peu attentif et mal informé de notre monde n’aura pas manqué de rester étonné face à la manière dont se déroule et prend de l’ampleur le conflit russo-ukrainien. Il pourrait à cet effet formuler trois remarques étonnées. Premièrement, en aucun sens, on ne peut considérer les revendications russes comme étant déraisonnables, y compris quand on est un anti-russe primaire. Nul pays dans le monde, même de puissance insignifiante ne pourrait sans s’émouvoir, supporter des activités délibérément hostiles de la part de son voisin. De la part de l’Ukraine, elles ne sont pas seulement hostiles, elles portent la mort de la Russie par étouffement otanien. Les États unis offrent un modèle de réaction à ce type de situations qui ont provoqué la crise des fusées de Cuba, en 1962, jusqu’à ce que ce petit pays, leur voisin du Sud, retire les fusées soviétiques.

FILE PHOTO: Pro-Russian activists react on a street as fireworks explode in the sky, after Russian President Vladimir Putin signed a decree recognising two Russian-backed breakaway regions in eastern Ukraine as independent entities, in the separatist-controlled city of Donetsk, Ukraine February 21, 2022. REUTERS/Alexander Ermochenko/File Photo

Deuxièmement, Zelinsky le Président ukrainien à l’inverse parait tout à fait déraisonnable, quelque sympathie que l’on ait pour son pays. Il a été élu pour faire la paix avec la Russie et s’est empressé de la pousser à la guerre. Son pays a peut-être intérêt à se rapprocher de l’occident, mais aucun à adhérer à une force anti-russe telle que l’OTAN. Le rapprochement avec l’Occident ne serait d’ailleurs que purement opportuniste, lié à la possibilité de s’arrimer à leur bien-être économique. L’histoire et la culture lient les deux pays, et les russes se considèrent comme issus de l’Ukraine qui constitue pour eux un pays-mère.

Troisièmement, par un étrange processus d’identification à son bourreau de la deuxième guerre mondiale, la France s’est proposée de faire infliger par l’Europe à la Russie, le traitement que les nazis ont fait subir en 1939 à la France et à l’Europe occidentale. Une blitzkrieg économique, tonnerre ! Nul ne s’est ému d’une telle rhétorique nazie contre un pays qui avait payé un lourd tribut et se plaignant de la nazification de son voisin. Détail piquant d’ailleurs, tous ont oublié que si la blitzkrieg réussit de manière fulgurante contre la France, l’Allemagne s’enlisa en Union soviétique et fut finalement mise en déroute avant que les américains, renforcés par leur cinéma ne viennent s’arroger la victoire.

Quatrièmement, les principaux dirigeants qui voyaient autrement le conflit en termes diplomatiques furent tous muselés. Ce n’étaient pas les moindres : Angela Merkel, Gérard Schröder en Allemagne, Marine Le Pen, Nocolas Sarkozy, Eric Zemmour en France ou Georgia Meloni en Italie. C’est que les enjeux du conflit se trouvent ailleurs. Le XXIème siècle est en train de prendre son visage définitif après la phase de transition 1990-2010. La soumission définitive à l’occident ou la marginalisation progressive de l’Europe (non pas les USA) et sa réduction à son importance réelle : Une petite région insignifiante du monde.

Crédit photo: rtbf.be

La mort de l’Union soviétique à la fin du XXème siècle avait semblé donner naissance au XXIème siècle. Elle n’ouvrait en fait qu’une période de transition qui s’est achevée à notre avis à la fin des années 2000. Les Occidentaux auraient mis en place un schéma du monde selon les quatre composantes suivantes : affaiblissement moral du tiers monde, ponction économique, désordre démocratique et intimidation militaire.

Les occidentaux, en proclamant leur victoire sur l’URSS l’ont accompagnée de l’inévitable discours idéologique de justification : ils représentaient le bien contre le mal, la voie à suivre, tout autre étant mauvaise. N’ayant d’autre alternative, les adversaires du passé, ceux du bloc de l’Est en particulier se sont rangés et l’idée s’est imposée dans le monde que c’était la seule chose à faire. Résultat, les intellectuels du tiers monde jadis si actifs pour dénoncer l’occident se sont rangés et aujourd’hui, la jeunesse de ces pays, plutôt que de construire des utopies à réaliser, a renoncé à se battre pour se construire. Elle considère que désormais gagner l’Europe et y vivre en sous-citoyens clandestins est le summum de la réussite.

 Dans le même temps, le FMI et la Banque Mondiale aidant, les économies du tiers monde se sont effondrées et ce ne sont plus que les multinationales qui font la pluie et le beau temps et dans les pays occidentaux, et dans les pays du tiers monde, soumettant le monde entier à une exploitation économique d’autant plus tranquille que l’on est partout convaincu qu’il n’y a que celle-ci qui permet l’essor économique.

Dans le même temps la démocratie a été exigée partout dans le monde, partout où elle a été vendue et imposée comme le seul système politique possible. Multipliant désordres et effondrements internes, elle n’a nulle part accouché du fameux développement économique qui faisait partie du kit avec lequel on la vendait. Le tout sur fond d’intimidations militaires. A coup de bombes à l’uranium appauvri, les occidentaux ont fait éclater la Yougoslavie ; par un déchainement sans précédent de violence, ils se sont livrés à deux génocides en Irak, au démembrement de la Libye. Chaque pays sait désormais que la Communauté internationale qui est composée des États Unis veille à ce que le bon ordre en faveur du seul monde qui compte, l’occident, soit maintenu.

L’enjeu est donc là, maintenir la toute puissance de l’occident sur le monde par l’idéologie, le pillage et l’intimidation. Mais de manière inattendue pour les occidentaux, deux énormes contestataires sont apparus et se sont imposés dès les années 2010 : la Chine et la Russie. Certes l’Iran et la Corée du Nord, Cuba ou le Venezuela s’essayaient encore à l’opposition, mais l’occident pouvait les considérer comme d’agaçants taons qui venaient de temps en temps piquer l’honnête homme. Mais bien confinés, ils n’étaient guère plus dangereux que ça. Autre chose étaient la Chine et la Russie. La première est en position de racheter les USA et est l’atelier de l’occident. La seconde est revenue à une puissance militaire suffisante pour intimider l’occident et en cas de conflit, malgré son budget dix fois inférieur à celui des États Unis une défaite complète.

Zelensky arrive donc à point nommé. En entretenant un conflit avec la Russie, il pourrait inciter ce pays à consacrer son énergie à une guerre coûteuse et interminable qui contribuerait à affaiblir militairement la Russie et l’obligeant à terme à sinon composer, du moins laisser faire l’occident. C’est à un tel scénario que l’on rêve pour la Chine et on le voit bien avec les manœuvres autour de Taïwan. Ici cela se double d’une tentative de guerre économique qui fait déjà long feu dans la mesure où la Chine a encore d’énormes réserves de croissance et n’est pas prête d’être économiquement maltraitée par l’occident, bien au contraire !

Mais le conflit ukrainien vient résumer et dire, toute proportion gardée, la nature de l’occident et du XXIème siècle qui s’engage : une multiplication des conflits dont l’enjeu est le maintien ou non de l’occident à la tête du monde. Le conflit russo-ukrainien correspond aux conflits du tiers monde tels que ceux du Mali, du Tchad, du Nigeria, du Cameroun… qui se manifestent là où on fait preuve d’un minimum d’indépendance par rapport à l’occident alors que l’on est assis sur de l’or.

Mais la Russie n’est ni le Mali ni le Burkina Faso. Nulle Blitzkrieg n’est venue l’abattre et ses objectifs militaires sont atteints depuis longtemps puisque dès le mois de juin 2022, le Donbass était entièrement conquis : un territoire vaste comme le Portugal.

Le XXIème siècle s’annonce comme le siècle des luttes contre-productives de l’occident contre ceux qui entendent vivre mais dont la vie signifie réduction du train occidental de vie. Les pays du tiers monde qui résisteront subiront des rebellions colorées ou parfumées comme les printemps arabes, le coup d’État au Venezuela, les révoltes en Iran, etc… Le conflit russo-ukrainien ne concerne donc pas l’Ukraine, il est un conflit russo-occidental et au-delà, tiers-monde-occident.

Le véritable XXIème siècle est donc lancé depuis ce conflit. Il était déjà là au tournant des années 2010 avec la Côte d’Ivoire, la Libye, la Syrie et déjà les tentatives contre la Chine. Cette fois le camp occidental s’est bien uni est s’est mis en ordre de bataille contre toute tentative pour un pays non occidental d’améliorer son sort d’une manière jugée menaçante pour l’occident. La guerre risque de durer parce que c’est le visage du XXIème siècle qui est en jeu.

En analyste du tiers monde, nous ne souhaitons guère la victoire de l’occident, mais la victoire ne choisit pas toujours le bon camp. Souhaitons seulement que Poutine soit un bon stratège et sache tirer son épingle du jeu.

Emboussi Nyano

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