Trésors en veille : Réflexions sur les défis de l’archivage
Le 20 juin 2025, ils étaient là, graves et recueillis, dans ce sanctuaire emprunté, assemblés comme des moines autour d’un feu éteint. Une table ronde, une de plus, au cœur de la Semaine Internationale des Archives 2025. Mais sous le thème — « Comment rendre les archives accessibles à tous et à toutes à l’Université de Douala ? » — sommeillait une question immense, une question qui pèse sur l’âme des nations : que faire de la mémoire des hommes quand elle gît, poussiéreuse, dans l’ombre des armoires ? Sous la houlette d’un Théodore Mayene attentif et mesuré, le débat s’ouvrit comme une plaie ancienne.

Deux sentinelles face au silence
L’une s’appelle Chantal Moukoko, sentinelle des savoirs, Maîtresse de conférence et gardienne d’un temple qu’on nomme Bibliothèque universitaire. Elle est la voix calme de la méthode et de la stratégie, la parole précise qui ordonne le chaos. L’autre, Aristide Yonkouo, homme de terrain, fils de l’ESSTIC, Promoteur du Cabinet d’archives ClassNet, Consultant au PNUD, artisan de l’archive, bras armé de la mémoire. Il vient avec la poussière des rayonnages, les audits froids, les cartons pesants comme des tombeaux. Elle est l’esprit. Il est la main. Ensemble, ils dressent l’inventaire d’une tragédie invisible.
L’archive : mot bref, destin long
Qu’est-ce qu’une archive ? demande l’assemblée. Ce n’est pas un rebut. Ce n’est pas une cave. C’est un vestige du vivant, une preuve, un acte, un souffle pétrifié. Et déjà la loi de 2024, dans un éclair de lucidité juridique, tranche : deux documents identiques sont suspects. Là commence le vertige.
Le Pr Chantal Moukoko l’affirme avec la gravité d’un oracle : une institution sans archives est un navire sans gouvernail, une cathédrale sans mémoire. Elle n’avance pas : elle dérive. Sans trace, point de justice. Sans preuve, point de gouvernance. Mais dans certaines entrailles de l’Université de Douala, les archives s’entassent dans des niches sans nom, gémissent sous des classeurs rouillés, agonisent dans des couloirs oubliés.
L’archive : fruit muet, trésor fécond

M. Aristide Yonkouo, lui, parle chiffres, comme on brandit des lances contre l’indifférence. 50 % d’espace gagné. 30 % de budget économisé. Un tiers du personnel revalorisé. Mais surtout, un trésor en puissance : de la certification, des droits défendus, des décisions mieux éclairées, une administration qui respire.
Car l’archive, lorsqu’elle est bien tenue, protège l’institution des tempêtes et lui offre un avenir clair. Elle sauve l’université du naufrage quand disparaît celle — secrétaire ou mémoire vivante — qui la tenait à bout de bras.
Mais pour qui ce trésor ? demande l’oratrice. Pour tous. L’étudiant en quête d’un passé. Le professeur dans ses recherches. L’usager de passage. Les archives doivent vivre, circuler, se donner à lire, non se cacher comme des reliques honteuses. La transparence, dit-elle, est leur destin.
Des âges et des négligences
Voici les trois âges : l’âge courant, l’âge intermédiaire, l’âge définitif. Une sainte trinité de l’archive. Mais leur parcours, noble en théorie, se brise sur le roc de la réalité. L’infrastructure manque, les outils dorment, les procédures s’effacent.
Dans certains bureaux, les archives sont des cadavres empilés. Les rats les visitent, l’humidité les ronge, les étagères plient sous leur propre fatigue. Yonkouo lève la voix contre le bois moisi et plaide pour le métal, la ventilation, les logiciels. Mais il sait que dans ce pays, un carton troué fait encore office de sanctuaire.
Numériser, ou feindre l’avenir ?

Tous deux s’accordent : il faut numériser. Mais pas à la légère. Pas en déversant des PDF mal classés dans un nuage sans gardien. Il faut une volonté, un dessein, une armée de professionnels. Or, cette armée est encore à former.
Le Pr Moukoko soupire : chaque jour, l’université produit de l’information, mais combien de documents sont dignement traités ? Combien de collègues comprennent qu’ils sont producteurs de mémoire ? Elle appelle, tel un prophète, à une croisade pour la mémoire : formation, sensibilisation, reconnaissance.
Espoirs discrets et archives dormantes
Et pendant ce temps, dans les entrailles de l’université, les documents attendent. M. Yonkouo promet un audit général, rêve de normes ISO et de standardisation. Pr Moukoko, lucide, sait que tout dépendra de la volonté rectorale. Une volonté manifeste, mais qui en s’amplifiant peut créer des émules et donner encore plus de relief à la cause. Qui dit merci en redemande !
Lorsque le débat s’éteint, comme une chandelle en fin de mèche, une vérité s’impose, aussi implacable que l’Histoire : sans ses archives, l’Université de Douala ne peut ni raconter son passé ni garantir son avenir. Et malgré la passion des gardiens du savoir, les piles de papier peuvent s’entêter à rester là, muettes, indifférentes, entassées comme des secrets qu’on redoute.
Théodore Mayene conclut. Les applaudissements sont polis. Mais dans les coulisses, les archives attendent. Elles n’espèrent plus. Elles veillent. Car elles savent que la mémoire qu’on néglige, un jour, se venge.








Jean Bosco BELL
