A propos du transhumanisme, Ebenezer Njoh Mouellè répond sans détour aux questions de Denise Epotè
Campus univers qui met en lumière des valeurs promues par nos icones, vous propose la version scripturale de la belle interview qu’a accordé Ebenezer NJOH MOUELLE à Denise EPOTE dans le cadre de l’émission de TV5 Monde « Et si … vous me disiez toute la vérité ». Denise EPOTE pose 7 questions à la figure emblématique de la philosophie, l’auteur de De la médiocrité à l’Excellence et récemment de Transhumanisme, marchands de science et avenir de l’homme, Lignes rouges « éthiques » de l’intelligence artificielle, et de Quelle éthique pour le transhumanisme ?
Denise EPOTE : Faut-il avoir peur de l’intelligence artificielle ? si plusieurs avancées technologiques sont à saluer, il n’en demeure pas moins qu’il existe des effets pervers qui porteraient atteintes aux libertés individuelles et nous feraient perdre une part de notre humanité. En ligne Ebénezer NJOH MOUELLE, bonjour !
Ebenezer NJOH MOUELLE : Bonjour Madame Denise EPOTE
D.E : Depuis trois ans vos écrits portent sur le transhumanisme, l’intelligence artificielle et l’éthique, pourquoi le philosophe que vous êtes est-il autant préoccupé par ces thématiques ?
E.N.M : Je suis préoccupé par ces thématiques parce qu’elles concernent l’humain. Je montre que l’intelligence artificielle a induit pas mal de bienfaits pour l’humanité et il n’empêche que chemin faisant je découvre, j’ai découvert des possibilités de dérives vives.
D.E : Vous pensez donc Ebenezer NJOH MOUELLE, que certains scientifiques soutenus par des industriels pourraient s’écarter des missions assignées jusqu’ici à la science qui étaient de garantir le bien-être de l’humanité ?
E.N.M : Oui ! d’autant plus que et je vais me limiter là, pour indiquer effectivement les orientations parmi les plus inquiétantes des déclamations des hauts responsables d’une des grosses entreprises de développement de l’intelligence artificielle. C’est les co-fondateurs de Google et leur PDG. En 2004 le co-fondateur Larry Page de Google déclare ceci : « Google sera inclus dans le cerveau des gens et quand on vous pose une question, il vous répondra automatiquement » (…). Six (6) ans après, l’autre co-fondateur qui s’appelle Sergueï Brin, lui aussi il déclare : « nous voulons que Google soit la troisième moitié de votre cerveau. Si vous faites des choses que vous ne voulez pas que les autres sachent, peut-être ne devriez-vous pas simplement les faire… » Et il ajoute : « …nous savons ou vous étiez, nous savons plus ou moins ce que vous pensez… » Dites-moi si ce ne sont pas des déclarations inquiétantes en matière de de violation de l’intimité de la vie privée des gens.
D.E : C’est vrai on a de bonnes raisons de s’inquiéter mais est-ce-que par ailleurs l’intelligence artificielle a quelques avantages ?
E.N.M : De nombreux avantages, dans le domaine médical, dans l’agriculture, un peu partout effectivement dans ce les transhumanistes appellent la réparation qui est un autre nom pour la thérapie. La liste est longue des bienfaits de l’intelligence artificielle. Je suis très fier de pouvoir citer en ce qui concerne le retour à la médecine, ce qu’un jeune camerounais, tout le monde connait le Cardiopade inventé par Arthur ZANG, ici ancien diplômé de l’Ecole Nationale Polytechnique de Yaoundé qui a mis au point un algorithme, qui permet de contrôler le fonctionnement des gens qui sont loin des zones urbaines. J’ai effectivement salué de nombreuses réalisations que l’intelligence artificielle permet et qui vont dans le confort de l’Homme. La réduction de la pénibilité dans le travail parce quand on parle de l’intelligence artificielle, on pense robotique d’abord. Les robots – les robots sont nombreux qui permettent à l’Homme de réduire la pénibilité dans son travail, d’aller un peu plus vite, évidemment le problème se pose de savoir si les robots vont prendre la place des Hommes…
D.E : Je comprends bien Ebenezer NJOH MOUELLE, que vous soyez acquis à la cause des libertés individuelles qui vont être restreintes mais malgré tout, constatez que depuis 1990, lors de l’avènement du téléphone portable nous sommes tous plus ou moins surveillés, donc ce n’est pas nouveau.
E.N.M : Oui ce n’est pas nouveau, mais lorsque les orientations continuent de se dessiner qui consistent en quoi ? à lire dans la pensée d’autrui avant qu’il n’ait exprimé ses idées. Ça c’est effectivement des recherches en cours quelque part. Ce sont donc des projets, certains projets, en cours qui crée effectivement l’inquiétude. Lire dans la pensée d’autrui, autre violation de la pensée, introduire dans les artères des Hommes des puces. Bien sûr le transhumanisme qui recommande à tout Homme de se servir des progrès de la science pour améliorer sa vie, pour être même immortel et dire que (oui) les globules rouges peuvent êtres robotisés et permettre une autorégulation du métabolisme etc. Au plan biologique, on peut comprendre, mais lorsqu’il se glisse là-dedans parce qu’effectivement il faut faire attention à tout ce qui se dit et qui est confirmé d’ailleurs par certains de ceux-là comme ceux dont j’ai mentionné les noms, les responsables de Google.
D.E : Alors cette accélération scientifique que vous fait craindre la perte de l’éthique et même une fracture supplémentaire avec l’Afrique notamment, mais qu’est-ce que vous préconisez ?
E.N.M : certains présentent même l’éthique come un concept à dépasser un peu comme Zuckerberg de Facebook avait dit que le concept de vie privée est une norme sociale dépassée. Ce n’est pas vrai parce que ça l’a rattrapé d’ailleurs dans l’affaire Cambridge Atlantica, alors il y a de quoi avoir peur. Bon ! Heureusement ou malheureusement je ne sais comment dire ça, beaucoup de développeurs de l’intelligence artificielle se sont donnés des codes, des chartes ces derniers temps. Ils se sont donnés des chartes pour se donner bonne conscience et puis faire bonne image. Mais qu’est-ce qu’ils ont fait à propos de l’éthique ? J’insiste sur ce point, à partir de Janvier 2017 dans une petite ville de Californie qui s’appelle Arizona, se sont réunis de nombreux développeurs de l’intelligence artificielle y compris tous les géants du numérique, du WEB étaient présents, les GAFA et autres. Ils ont signé un code de référence, un guide de référence pour le développement éthique de l’intelligence artificielle. 23 principes sur lesquels personnes n’a rien redire et c’est des bons principes mais constatons quelque 01 an à peine après, on voit qu’un des signataires de ces 23 principes s’est mis à fabriquer des robots tueurs et heureusement que ses employés se sont dressés contre cette opération. Pour être crédible il faut qu’ils montrent une façade des gens soucieux de l’éthique, mais c’est pour privilégier plutôt la dimension commerciale. Les industriels ont fait main mise sur les développements de l’intelligence artificielle et ils tiennent à en faire le plus beau bénéfice.
D.E : Et l’Afrique dans tout ça ?
E.N.M : L’Afrique dans tout ça, qu’est-ce qui se passe ne serait-ce que dans le domaine de la protection des données personnelles ? En 2014, l’Union Africaine a fait adopter à Malabo, une convention contre la cybersécurité, mais en 2014/2018 ils n’étaient que 10 à l’avoir signée et puis récemment, deux (02) Etats à l’avoir ratifiée. Bon ça n’a pas encore mordu et s’il y a vraiment quelque chose qui justifie le fait que j’intervienne dans ce secteur c’est parce qu’effectivement dans notre propre Afrique, on n’est pas encore suffisamment éveillé sur ces réalités-là et pourtant des laboratoires des géants ont ouvert en Nairobi, au Ghana, au Nigéria et qui prouvent que dans l’élite de l’intelligencia Africaine, ils prennent les meilleurs. Ils leurs paient des bons salaires mais parfois travaillant contre eux-mêmes sans le savoir. Parmi les autorités de contrôle d’exploitation abusive des données personnelles dans le monde, il y a la CNIL (Commission Nationale d’Informatique et de Libertés) et qui a reçu par exemple, entre 2015 et 2016, 21000 plaintes des gens qui se plaignaient de ces grosses entreprises qui ont utilisé abusivement leurs données personnelles et là, pas d’africains bien sûr parce que sur le sol africain il n’y a pas d’autorité de contrôle et le contrôle, là effectivement, qu’est-ce qu’il avait dit le défunt Steven Hawking, le célèbre Astrophysicien anglais qui nous a quitté il y a quelques temps, il avait dit : «L’impact de l’intelligence artificielle à court terme dépendra de celui qui la contrôle». Et il ajoute, à long terme la question que posera et moi je la pose, à savoir, si l’intelligence artificielle peut être contrôlée, là vraiment, les bras m’en tombent. Quand j’ai pris connaissance de tout ça effectivement nous en sommes là… Mais pour revenir à l’Afrique, je crois que je sonne l’alarme et ce que nous faisons, c’est attirer l’attention autours des responsables parce que ces questions il faut le reconnaitre que dans les cabinets des dirigeants, un peu partout, ce n’est pas seulement en Afrique, mais davantage en Afrique la prise en compte de ces évolutions, elle est rare, elle n’existe même pas. Les gens ne savent pas tout ce que je dis là. Moi je dis, quand en fin 2017, mon collègue Hountondji m’a invité au Bénin participer à un colloque … le thème c’était : « Qu’est-ce qu’être humain aujourd’hui en Afrique ?», alors quand je lui ai dit : « ah ! mais ça tombe bien, je suis en train de terminer un livre qui nous situe aussi au plan international, au plan universel, “Le Transhumanisme” ». Il dit : « ah ! Mais moi je n’en ai pas encore entendu parler, il faut venir nous faire une conférence là-dessus ». Bon c’est pour vous dire qu’effectivement même dans le milieu universitaire, ces préoccupations sont entrain simplement d’entrer très lentement et lourdement. Donc voilà ! … l’Afrique, quand je mets comme sous-titre de mon deuxième livre : « Quelle éthique pour la vie ? » quand je dis : « Des hommes augmentés et des post-humains demain en Afrique, mais madame Denise EPOTE, j’ai répondu oui, on ne va pas rentrer dans un Bantoustan ; un nouveau Bantoustan où l’Afrique elle-même reste en marge d’une humanité qui est entrain de progresser parce que, qu’est-ce que professe le transhumaniste et tous les développements et y compris les mauvaises choses, on les signale mais il y a quand même du très beau : l’augmentation des capacités intellectuelles, l’augmentation des capacités physiques et ça je dis des post-humains, des Hommes augmentés en Afrique, il en faut mais il en faut aller chercher cette augmentation en Occident ou en Chine. Il en faut pour que sur le sol Africain, nous sachions retenir nos génies. Nous avons nos enfants qui passent le BAC à 13, 14, 15 ans, qu’est-ce qu’ils deviennent ? Ils disparaissent dans la nature et ils sont immédiatement absorbés par de grosses structures occidentales. Nous devons en Afrique effectivement, créer des centres de recherche scientifique dans ces domaines-là.
D.E : Ebenezer Njoh Mouellè merci.
Transcription : Noé Fils Mbella et Jean Bosco BELL
Source : TV5 Monde, Emission ET SI … VOUS ME DISIEZ TOUTE LA VÉRITÉ du 22 Novembre 2020, https://www.youtube.com/watch?v=TDB0xEGuDX8