La dynamique politique en Afrique subsaharienne
A l’aune des années 90, caractérisés par les grands bouleversements géopolitiques à l’échelle globale que sont l’effondrement du mur de Berlin en 1989 et la dislocation de l’URRS en 1991, se propagea comme dans une traînée de poudre, l’invasion plus ou moins contagieuse des courants dits démocratiques. Le géopolitologue américain d’origine japonaise, Francis Fukuyama, dans un ton sentencieux proclamait alors « La fin de l’histoire », non sans consacrer le triomphe de l’Occidental qu’il présente comme une sorte de « dernier homme sur terre ». Dans son ouvrage retentissant (La fin de l’histoire), il présente l’ogre américain comme l’ultime rempart contre les régimes jugés non-démocratiques et le tombeau des régimes communistes. Une thèse qu’on peut aujourd’hui empiriquement tempérer, tout au moins remettre en question. Nous partons de ce rappel pour construire notre réflexion.
L’Occident, à l’origine d’une démocratisation précipitée de l’Afrique
Réunis à La Baule en France, François Mitterrand, ne manquait pas de s’embourber dans cette brèche conjoncturelle de l’histoire, pour se faire l’écho de cette dynamique historique particulièrement favorable à son camp, celui des démocraties libérales au lendemain de son triomphe sur le communisme. Devant ses pairs africains, convoqués dans une conférence aux allures de conclaves, il tint un langage sans euphémisme ni édulcorant, sans fioritures, ni tournures, il les suggérait fortement la nécessité de renoncer à leurs systèmes autoritaires de gouvernance – et c’est le moins qu’on puisse dire – pour l’y substituer un courant de libéralisation de leur société politique interne calqué sur le modèle occidental.
À la vérité, il les enjoignit à le faire. Cette tempête de démocratisation est – dans un langage journalistique – qualifié de « vent de l’Est ». L’introduction de ce système dans ces pays pas nécessairement préparé engendra des réactions diverses. Ici, désordres, chaos et anarchie du fait de l’adoucissement du Léviathan, là instabilité politique, haine communautaire, voir vengeance. Dans ce capharnaüm incertain, le continent finit par se braquer, sécrétant alors son propre processus politique, alliant démocratie et autoritarisme. Une savante synthèse que l’intelligentsia tropicale qualifie alors de « démocrature ».
La difficile greffe de la démocratie
Plus de trois décennies d’expérimentation plus ou moins asymétrique de la démocratie a débouché ci et là sur des dynamiques disparates, assortie de fortunes diverses qui ont, elles aussi conduit vers des nouvelles dynamiques politiques et sociales plus ou moins disruptives. Constatant l’échec, qu’on peut tout de même relativiser, des mécanismes conventionnels ou normatifs de régulation du jeu politique en Afrique subsaharienne globalement, et dans sa partie Centrale depuis peu, les coups d’état ou putschs militaires sont, d’une manière ou d’une autre, en train de progressivement s’imposer comme des mécanismes normaux de régulation du jeu politique, et partant de restauration du système démocratique. Un véritable retour en puissance après les expériences souvent sanguinaires et parfois douloureuses des années 70-90. La veille stratégique semble désormais incomber à tout soldat qui, par leur silence et leur répression parfois féroce, ont, non seulement longtemps empêché les évolutions de se faire à l’initiative des peuples mais également, se sont souvent interposés aux révolutions de palais, pour sustenter excessivement les pouvoirs, du reste patrimoniaux et néo-coloniaux.
Politisée et embourgeoisée, l’élite militaire s’est laissée infiltrer par les pouvoirs établis dont elle sert de bras séculier jusqu’à ce que la lassitude ou le changement de vent emportent sa loyauté. Réalisant subitement l’obstruction ou la confiscation des mécanismes constitutionnels de régulation du jeu politique dans nos sociétés africaines subsahariennes, les craquements mécaniques des bottes de la grande muette, qui s’approprie continuellement la vocation de nouveau libérateur des peuples, de sauveur, par des interventions souvent salvatrices. Une irruption dans le champ politique qui se veut éclairée par l’instauration des régimes dits de transition dont le calendrier connu et annoncé est rarement respecté. Ainsi se dissout sa vocation messianique de sauveur. Ces régimes, initialement de transition, débouchent très souvent sur des « régimes frauduleusement élus » fonctionnant à coup de propagande, de surenchère verbale, le tout sous un fond de panafricanisme altéré.
À défaut de périr, s’adapter
Constatant également l’instrumentalisation politique de la démocratie sous le format de La Baule, et la légitimation de l’intervention intempestive des troupes dans la politique, il serait de bon ton pour l’Afrique, de se réinventer un modèle plus ou moins ouvert, pas nécessairement non démocratique, mais qui dissuadent nos « dieux » de présidents de se considérer comme des propriétaires exclusifs de leur pays respectif qu’ils gèrent avec leur proche, comme des patrimoines privés, distribuant la rente à leur convenance. On a beau épiloguer sur la nécessité ou non, sur la moralité ou l’immoralité, sur l’utilité ou la dangerosité de ces changements anti-constitutionnels du pouvoir mais, force est de constater qu’ils ne sont quelques fois que la conséquence naturelle et la protubérance logique de l’obstruction légale des mécanismes constitutionnels de dévolution du pouvoir politique.
A ce titre, on ne saurait raisonnablement s’y opposer, surtout que l’armée est désormais l’antichambre d’un pouvoir politique qui met les rues en branle. Que les coups d’état se font légion en Afrique n’est pas le problème, le problème est que les sociétés civiles africaines et les masses populaires en viennent à les célébrer, encore qu’ils font numériquement moins de morts et sèment dans certaines circonstances, moins de désolation que les élections, supposées libres et transparentes. Ce n’est sûrement pas le Gabon qui viendra nous démentir, d’ailleurs même il y a plus qu’à dire : À qui le tour dans ce qui semble un véritable printemps des putschistes en Afrique au Sud du Sahara.
Nguelifack Vijilin Cairtou