La « ruée vers l’Afrique » sous fond de rivalité géopolitique

Alors qu’on baignait à peine dans les premières matinées du XIXe siècle, les vielles puissances européennes, marquées par l’appétit vorace du goût de l’extension territoriale vont, à la faveur d’un congrès organisé à Berlin (1884-1885) décider de sceller le sort de l’Afrique, en absence de l’Afrique. Dès lors, cette séquence, qui consacre le dépeçage, le morcellement du vaste territoire de l’Afrique, fut poétiquement qualifiée par les historiens de « ruée vers l’Afrique ».

En ce crépuscule du XIXe et la rivalité des puissances mondiales sur le continent qui tente de se revigorer, l’on pourrait être amené à se demander si l’on n’assiste pas à une nouvelle ruée vers l’Afrique sous fond cette fois de discours souverainistes ; teinté de turbulences géopolitiques. En effet, lorsqu’on observe la dynamique politique sur le continent berceau de l’humanité, on pourrait difficilement se soustraire d’une lecture métaphorique présentant l’Afrique comme une sorte de jolie demoiselle dont la bataille pour mériter son amour fait rage entre les prétendants aux approches divergentes.

Tout d’abord, on a Paris qui, en sa qualité de colon est resté focalisé dans son approche traditionnelle qui consiste à envisager une bonne partie du continent – francophone notamment – comme son « pré carré », une extension de son outre-mer, refusant de ce fait d’intégrer les évolutions de mentalité et le changement, voir le durcissement de ton de la jeunesse du continent, non moins future élite politique. Approche qui ne s’écarte pas du discours paternaliste de La Baule, prononcé par le président socialiste François Mitterrand invitant le continent à la consécration de la démocratie et partant des droits de l’homme. De ces prescriptions « droit de l’hommistes », découle une certaine sacralisation du respect des constitutions. Seulement, l’évolution subséquente et les nouvelles réalités politiques marquées par l’avènement des coups d’etat plus ou moins populaires au fin de renversement des régimes à tort ou à raison accusés d’être inféodés à l’Elysée. Il s’en suit alors une condamnation à géométrie variable qui a fini de lessiver le narratif français en Afrique. Et c’est justement dans l’optique d’un changement d’approche qui tient enfin compte des nouvelles dynamiques en cours sur le continent que Paris a revu le format des fameux sommets France-Afrique, en rencontrant plutôt les sociétés civiles comme ce fut le cas à Montpellier.

Ensuite, nous avons la Chine qui, dopée par sa croissance économique affirmée, privilégie une approche économique marquée par une stratégie d’intensification commerciale symbolisée par le vaste projet dit des « routes de la soie ». Concrètement, il s’agit pour Pékin de réaliser sous financement propre des gigantesques projets infrastructurels sur le continent et l’échelonnement du remboursement soit dans un contrat d’exploitation de l’infrastructure ou alors d’une ressource naturelle en compensation. Outre cette approche économique et commerciale, la Chine entend également prendre en charge la sécurité. L’installation de sa première base militaire hors de son territoire, ouverte en 2019 à Djibouti, point de passage incontournable du trafic maritime, est venue confirmer son ambition de s’inscrire dans du long terme. L’instauration des sommets Chine-Afrique permet à l’empire du milieu de faire, de façon saisonnière, le bilan de cette coopération.

Autre puissance désormais incontournable sur le continent est la Russie qui s’est très vite affirmée comme le bouclier sécuritaire du continent. Pour se faire, elle déploie ses troupes de paramilitaires Wagner dans une bonne partie du continent ( Centrafrique, Mali, Burkina Faso etc. ). Il faut dire pour s’en féliciter, que la relative maîtrise des frontières territoriales de la République Centrafricaine est majoritairement du fait de ce groupe, appelé à la rescousse en remplacement de la force française Sangaris. En parallèle, elle négocie des accords de défense d’Etat à Etat avec des partenaires africains qui ont besoin de son industrie militaire. C’est dans optique qu’il faut lire l’accord de défense signé avec Yaoundé en pleine crise russo-ukrainienne. Sur le plan politique, l’organisation des sommets Russie-Afrique dont la deuxième rencontre sous ce format s’est tenue à Saint-Petersbourg en juillet dernier est venu coulée sur du marbre cette nouvelle collaboration.

Mais, dans une optique de densification de son offre de coopération, Moscou fait également dans la construction des centrales nucléaires à des fins civiles. Le Mali et le Burkina Faso où des contrats viennent d’être signés en ce sens avec la société russe experte dans l’énergie nucléaire Rosatom seront les premiers bénéficiaires de cette nouvelle coopération.

Autre partenaire non des moindres qui manifeste des appétits pour le continent, ce sont les États-Unis qui, depuis le retour des démocrates à la maison Blanche, ont replacé l’Afrique au cœur de leur stratégique d’endiguement de la planète. À ce titre, la réactivation et l’intensification des activités de US-Africom, légèrement endormie sous Trump, la force permanente des États-Unis en Afrique, est une volonté manifeste de ce retour dans le jeu. Pour cet allié, la promotion de la démocratie et des droits de l’homme restent au cœur de sa stratégie africaine comme l’a rappelé son président Joe Biden lors du dernier US-Africa summit. Cependant, pour Washington, il s’agit surtout de ralentir, à défaut de contrer la menace chinoise sur le continent et éventuellement, de retarder son inexorable ascension économique.

Outre ces puissances affirmées qui s’affrontent pour le contrôle des ressources africaines, d’autres puissances émergentes comme la Turquie, l’Inde, le Brésil, la Corée du Sud etc. Sont aussi passées à l’offensive dans ce continent présenté par les institutions de Breton Woods comme l’avenir du monde. C’est sans doute ce qui justifie également son entrée au G29 comme membre permanent et non plus invité.

Il faut dire que le contexte de cette reconfiguration de la rivalité géopolitique en Afrique est celui d’un rejet progressif mais résolu de la présente française et de l’arrivé subséquente de la Russie, auquel se greffent nombreux autres partenaires, qui sont célébrés non pas comme des nouveaux maîtres mais davantage comme bouclier de protection des régimes qui osent défier Paris. Et c’est justement là que se situe toute la complexité du jeu, laquelle complexité requiert donc plus de subtilité dans l’analyse pour pouvoir mieux en saisir les contours. En effet, la présence de la Russie en Afrique, pour paraphraser le président burkinabè le capitaine Ibrahim Traoré, ne vise pas à se trouver un nouveau maître mais davantage à en avoir une puissance capable d’assurer la protection le temps de la refondation de l’Etat. C’est donc dire que dans ce jeu aux multiples enjeux, l’Afrique est loin d’être la jeune demoiselle naïve qu’elle fut en 1884. Elle se présente désormais comme cette ravissante dame qui est pleinement conscience de ses attentes et sait comment s’y prendre pour les obtenir envers n’importe quel prétendant et c’est là toute la différence.

Nguelifack Vijilin Cairtou

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