Inflation : les ondes gravitationnelles du Big Bang enfin découvertes ?

La cosmologie est-elle au seuil d’une révolution ? C’est la question que l’on peut se poser aujourd’hui. Les membres de la collaboration Bicep, qui utilisent un télescope situé au pôle Sud dédié à des études bien spécifiques du rayonnement fossile, auraient en effet détecté les modes B de la théorie de l’inflation. Il s’agit d’une polarisation caractéristique de la plus vieille lumière du monde. Témoin de l’émission d’ondes gravitationnelles, elle ne semble pouvoir provenir que d’une phase d’expansion extraordinairement forte, mais courte, de l’espace au tout début de l’histoire de l’univers. Si les chercheurs ont raison, cette découverte est probablement aussi importante que celle du rayonnement fossile en 1965. Un décryptage s’impose.

L’année dernière, les astrophysiciens utilisant le SPT (South Pole Telescope) en Antarctique avaient annoncé avoir découvert des modes B dans le rayonnement fossile. Il s’agit d’un état de polarisation particulier sur toute la voûte céleste de la fameuse plus vieille lumière du monde, émise environ 380.000 ans après le Big Bang. Les théoriciens de la cosmologie savent qu’elle peut contenir des informations sur les périodes bien plus primitives de l’histoire de l’univers. Ils espéraient ouvrir ainsi une fenêtre d’observation sur ce qui s’est passé bien avant que les particules du modèle standard, comme les bosons W, n’acquièrent une masse au moment de la transition électrofaible. La détection et la mesure précise des modes B constituent justement une telle fenêtre, car on peut relier leur existence à la théorie de l’inflation.

Une dilatation de l’espace d’un facteur 1025 en 10-35 s

Selon cette théorie, entre 10-43 seconde et 10-30 seconde environ après le temps zéro des modèles cosmologiques idéalisés issus de la relativité générale, l’espace aurait connu une phase d’expansion accélérée extraordinairement forte mais très brève. Fortement dilatée par un facteur d’au moins 1025 en environ 10-35 s, la portion de l’univers qui nous est accessible grâce au rayonnement fossile, et dont le rayon est d’environ 45 milliards d’années-lumière aujourd’hui, ne serait qu’une petite partie d’un espace beaucoup plus grand, pouvant dépasser des millions de milliards d’années-lumière, et même être infini.


http://www.youtube.com/embed/bjn3i8FrZO4?rel=0 Malheureusement, l’inflation n’est pas le seul phénomène physique capable de polariser le rayonnement fossile en donnant des modes B. Lors de son trajet dans l’univers, l’influence de la matière, par exemple avec l’effet de lentille gravitationnelle, peut faire de même. Il est toutefois possible de soustraire ces contaminations du signal d’avant-plan, comme on dit dans le jargon des astrophysiciens, pour obtenir un signal que l’on pouvait considérer comme une preuve convaincante de la théorie de l’inflation. Les résultats obtenus au SPT et présentés en 2013 ne permettaient pas encore de discerner clairement la part de l’effet de la matière et celle de l’inflation dans ces mesures de polarisation. Tout ce que l’on pouvait dire, c’est qu’on avait enfin mesuré les modes B.

Nombreux étaient sans doute ceux qui pensaient que si un signal en rapport avec l’inflation était assez fort pour être mesuré, sa découverte viendrait avec les analyses des mesures de Planck, qui ne sont pas complètement terminées. Mais les membres de la collaboration Bicep (Background Imaging of Cosmic Extragalactic Polarization), un instrument voisin du SPT, ont annoncé le 17 mars qu’après trois saisons d’observations et des mois passés à éliminer des sources d’erreurs possibles, ils pensent avoir détecté et mesuré les modes B de l’inflation.

L’inflation, une fenêtre sur une nouvelle physique

L’excitation gagne actuellement les cosmologistes et les physiciens des hautes énergies, car la théorie de l’inflation fait intervenir de la nouvelle physique, très probablement la mythique gravitation quantique, et peut-être aussi une théorie unifiée des forces, comme les Gut. Elle fournit des mécanismes expliquant la création de la matière noire ainsi que des quarks et des leptons qui composent notre univers et qui seraient nés à la suite de cette phase d’inflation. Elle peut aussi permettre d’expliquer pourquoi il y a davantage de matière que d’antimatière dans l’univers observable. Surtout, elle génère des fluctuations de densité qui vont servir de germes pour la formation des étoiles et des galaxies. La matière noire aurait ainsi commencé à s’effondrer gravitationnellement dans les zones de surdensité, entraînant plus tard l’effondrement de la matière baryonique que nous connaissons.


L’histoire du cosmos, de l’ère de Planck à nos jours. Selon les premiers modèles avec une phase inflationnaire considérés au début des années 1980, peu après le temps de Planck, l’espace aurait subi pendant une infime fraction de seconde une période d’expansion exponentiellement accélérée. C’est à la fin de cette phase que la matière de l’univers observable serait née. L’inflation y était produite 10-35 seconde après le Big Bang, par des analogues du champ de Brout-Englert-Higgs (BEH) du modèle électrofaible. Vers 10-11 seconde, une petite phase d’inflation était aussi produite au moment où le mécanisme de Brout-Englert-Higgs a donné une masse aux bosons W et Z. Bien d’autres modèles inflationnaires ont depuis été proposés, dont certains font jouer un rôle bien plus important au champ BEH du modèle électrofaible. © Cern

La théorie de l’inflation fait souvent intervenir au moins un champ scalaire analogue à celui du boson de Brout-Englert-Higgs (le terme d’inflaton est utilisé parfois pour le désigner). Elle se décline selon une grande variété de modèles faisant intervenir de la nouvelle physique issue elle aussi de différentes théories au-delà du modèle standard, presque toujours à des énergies que ne peut sonder le LHC. Mais il existe tout de même plusieurs prédictions génériques de ces modèles, comme justement le spectre particulier de fluctuations de densité à l’origine des galaxies, et le fait que la géométrie de l’espace doit nous apparaître comme plate ou presque. En effet, de même que la Terre nous semble plate à notre échelle en raison de sa taille, il en serait de même sur plusieurs dizaines de milliards d’années-lumière (et peut-être bien plus) pour la géométrie de l’espace de notre univers. Plusieurs de ces prédictions génériques ont été vérifiées par les observations de WMap et de Planck. Certains modèles ont d’ailleurs été réfutés par ces observations. Mais la preuve semble-t-il presque indiscutable de l’existence de la phase d’inflation primordiale manquait. Il s’agissait précisément de la mise en évidence des modes B cosmologiques.

L’inflation, un zoom sur les fluctuations quantiques de l’espace-temps

La prédiction la plus caractéristique, peut-être, de la théorie de l’inflation concerne des fluctuations quantiques dans la structure même du tissu de l’espace-temps qu’elles font vibrer. Elles se présentent sous forme d’ondes gravitationnelles. Ces fluctuations sont d’ordinaire si faibles et si microscopiques qu’elles sont inobservables. Mais lors de l’inflation, l’expansion de l’espace aurait agi comme un gigantesque zoom agrandissant ces fluctuations quantiques et rendant ces ondes gravitationnelles visibles dans le rayonnement fossile à grande échelle sur la voûte céleste. On peut alors démontrer leur occurrence sous la forme d’une polarisation bien spécifique. Il semble très difficile d’expliquer la présence de cette polarisation autrement qu’en faisant intervenir une phase de dilatation énorme de l’espace, seule à même de faire passer des fluctuations de l’espace-temps du monde de la microphysique à celui de la macrophysique.

Si les chercheurs de Bicep ne se sont pas trompés et s’il n’existe aucun autre moyen de produire les modes B observés autrement qu’en faisant appel à la théorie de l’inflation, alors nous sommes entrés dans une révolution en cosmologie, probablement comparable à ce qui s’est produit en 1965 après la détection du rayonnement fossile. Elle pourrait nous conduire à prendre encore plus au sérieux la notion de multivers, un ensemble d’univers avec des lois physiques différentes (bien que respectant celles de la relativité générale et de la mécanique quantique), dont le nôtre ne serait qu’un modeste représentant, ainsi que d’un pré-Big Bang.

Dans l’état actuel des choses, les mesures de Bicep semblent indiquer que l’inflation s’est produite 10-37 s après l’instant zéro, alors que les énergies associées à l’inflaton auraient été de l’ordre de 1016 GeV, soit 1012 fois plus importante que ce que peut atteindre le LHC. Remarquablement, cette valeur est précisément de l’ordre de celle en dessous de laquelle cessent d’être unifiées les forces électrofaibles et nucléaire forte dans le cadre des théories de grande unification (notamment supersymétriques), qui prédisent justement au même moment une phase d’inflation. Une coïncidence ? Futura-Sciences aura l’occasion de revenir bientôt sur toutes ces questions.

Source : https://www.futura-sciences.com/sciences/actualites/univers-inflation-ondes-gravitationnelles-big-bang-enfin-decouvertes-52833/

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