La philosophie et les interprétations de la mondialisation en Afrique, au souvenir des 1ères Rencontres Philosophiques Internationales Francophones de Yaoundé – 2007.

Les rencontres philosophiques internationales francophones de Yaoundé les premières du genre, se sont déroulées comme prévu du 13 au 16 novembre 2007. Elles avaient pour thème : « La philosophie et les interprétations de la mondialisation en Afrique ». Thème qui se déclinait en quatre sous thèmes, à savoir :

  1. Les questions générales
  2. De l’universalisation des systèmes économiques à l’uniformisation des systèmes politiques ?
  3. Le principe de solidarité au cœur de la théorie du village global
  4. Les autoroutes de l’information et la tendance à l’homogénéisation des moeurs.

Le programme des communications prévoyait :
-une conférence inaugurale, prononcée par le professeur Ebénézer Njoh Mouelle,
-cinq rencontres en plénières
-dix rencontres en ateliers, avec  à chaque fois trois communications suivies de débat
-tout cela encadré d’une cérémonie d’ouverture, puis de clôture.

Prenant la parole le premier, Monsieur Gilbert Tsimi Evouna, Délégué du Gouvernement auprès de la Communauté Urbaine de Yaoundé, a dans son mot de bienvenue, invité les participants à prendre en compte l’intérêt des peuples africains, ballottés par divers courants de la mondialisation. Il a notamment, au-delà des questions sémantiques, insisté sur la recherche de voies nouvelles susceptibles de mener à des solutions au problème de la diffusion homogénéisante de la Civilisation occidentale. Car si la mondialisation ouvre à l’universel, elle reste, en revanche, porteuse de germes inédits de déshumanisation.

Procédant à l’ouverture officielle des travaux, le Professeur Jacques Fame Ndongo, Ministre de l’Enseignement Supérieur du Cameroun, s’est, dans le même ordre d’idées, posé la question de savoir si la mondialisation, violon d’Ingres des discours officiels, s’annonçait sous de bons auspices pour les africains. En effet, a-t-il affirmé, « le chantier de la mondialisation a un ingénieur identifié, un maître d’ouvrage historiquement reconnu : c’est la Civilisation occidentale judéo-chrétienne, qui a tendance à configurer les schèmes mentaux et les catégories intellectuelles de la planète entière ». Toutefois, a-t-il tenu à rappeler, le présent colloque, dans son principe, autant que dans son besoin d’achèvement, ne devrait pas prendre l’allure d’un pugilat intellectuel ou idéologique entre penseurs du Nord et ceux du Sud. Les rencontres philosophiques doivent s’affirmer, au contraire, comme un dialogue interculturel par philosophes interposés.

Dans sa conférence inaugurale, le Professeur Ebénézer Njoh Mouelle, dont le propos portait sur la problématique d’un monde qui semble s’installer dans des registres strictement économiques et financiers, sans prendre en compte l’axiome de solidarité, a mis l’accent sur l’idée du monde comme construction humaine partagée. Ce n’est qu’à cette condition que l’idéalité transcendantale du monde pourra devenir l’effectivité concrète d’une volonté de construction d’un monde véritablement humain.

De la cinquantaine de communications échangées il ressort une volonté commune de libérer le concept de « mondialisation » de ses équivoques, en en retraçant l’histoire réelle et conceptuelle. Comment en effet trouver son chemin entre le jeu des concepts et des métaphores qui sous-tendent les notions connexes de totalité, d’unité, de globalité, suggérant possiblement la désaffection des différences, de la pluralité. Quelle est la part de l’inachèvement dans ce processus sans téléologie sensée ? La métaphore du « village planétaire » porte-elle de réelles annonces éthico-anthropologiques susceptibles de libérer un « con-vivre » qui résoudrait la tension de l’insociable socialité des hommes et des peuples ? Dégrossir ainsi le concept permet surtout de libérer la nécessité même d’un décryptage de ce processus encore en cours, que l’on ne saurait livrer à sa propre mécanique, comme s’il se fût agi d’une fatalité. Du repérage des acteurs, à la juste saisie des jeux et des enjeux, des lieux ou des rouages, le propos converge autour de la nécessité de passer d’une pensée sur la mondialisation à une pensée elle-même mondialisée, c’est-à-dire à la fois plurielle et ouverte, fût-ce sur le mode inéluctable de la tension, qui ménage à la philosophie, comme à l’humanité, la possibilité d’indéfinies rebondissement, indispensables à l’auto-conception progressive de notre humanité.

La grande majorité des intervenants attendus de l’Algérie, de l’Allemagne, du Canada, de la France, du Gabon, d’Italie, du Niger et naturellement du Cameroun, pays hôte ont tenu la promesse de leur présence et les riches communications qui ont constitué la substance des échanges ont permis de donner corps à l’argumentaire du Colloque, qui signalait, en Afrique et dans le monde, une attente infinie quant à la finalité qui commande les principes, les concepts et les règles sur la base desquelles le village global se laisse diriger aujourd’hui.

Il n’est pas alors frivole, ni dérisoire, de souligner la constance ressentie d’une parole proprement africaine au sujet de ce processus dont l’Afrique notamment subsaharienne subit plus durement les contrecoups. En ce sens, nombre d’interventions ont souligné la nécessité de rester lucides au-devant des fausses solutions qui vont de l’humanitarisme catastrophiste au commerce équitable, en passant par moult injonctions exogènes, brutales ou condescendantes, parfois muettes ou incohérentes, car ne prenant pas assez en compte l’impossible superposition ou translation des expériences. Le point de convergence de ces interrogations/interpellations endogènes s’organise autour d’un socle théorique commun, à savoir l’appel en concept de la notion de solidarité, qui n’est ni une sensiblerie naïve, ni le simple reflet sans réflexion d’une société faiblement développée, ni un bon fond ontologique nègre à exhumer comme un paradigme exportable en l’état. Le principe de solidarité aura donc été décliné dans les lumières croisées de l’histoire de la philosophie, de l’anthropologie, mais aussi de la vie quotidienne, dont la banalité peut trahir ou révéler autant de sagesses alternatives que de problématiques mal fermées. La question phare aura alors été de savoir si, et, le cas échéant, comment, le principe de solidarité pourrait fonctionner là où des logiques inégalitaires règnent sans partage.

Mais il ne se sera pas alors agi de rixes idéologiques, au sens péjoratif où l’on tend à confiner cette notion d’idéologie, encore riche de sens, en dépit d’une surdétermination tragique, notamment totalitariste et négativement belliciste, dont il faut simplement revenir. Il ne sera pas agi non plus d’une exhortation partagée autour de considérations sapientielles et morales, aveugles à la positivité avérée des dissensions bien maîtrisées.

Mais ce que les intervenants auront le plus fortement marqué en ce colloque international de philosophie, c’est certainement la nécessité de la philosophie elle-même, sous la forme de la nécessité d’une conscience philosophique encore plus acérée pour éviter que l’humanité soit à nouveau flouée sur elle-même. Elle permet tout autant de se défier des interprétation trop univoques ou trop unilatérales qui, à l’instar de celles avancées à ce jour risquent trop d’obérer la nécessité d’une lucidité continuée sur un processus qui n’a sans doute pas fini de déployer ses ressorts ou ses facettes heureuses ou malheureuses.

Du passage du vieux schème mental du métissage à l’utopie naissance de l’identité multiple, on voit poindre l’enjeu de la relance d’une anthropologie philosophique en même temps que celui de sa réception critique. C’est pourquoi ce Colloque, organisé à l’Initiative du Cercle camerounais de philosophie, aura été ponctué d’une Conférence publique prononcée au Centre Culturel français le jeudi 15 novembre par le Professeur Dominique Folscheid de l’Université de Marne-La-Vallée, en France, sur le thème : « Vers la fin de l’homme ? ». Dans la continuité du thème du colloque, il se sera agi d’une invite à reparcourir philosophiquement les mythes de la fin de l’homme, mythes diversement déclinés, mais dont la technique s’est récemment et prophétiquement emparée, à la faveur de l’évolution sans précédent de la biotechnologie. Illustration emblématique de l’avancée débridée de la mondialisation, la thématique de la fin de l’homme doit cependant éviter de nourrir une conscience d’apocalypse, car elle donne à voir ses propres limites, et redessine, a contrario, l’originalité maintenue de l’homme, pris dans l’axiomatique de sa différence.

Au final, les conclusions nécessairement provisoires des divers échanges plutôt nourris et assidues s’offrent désormais comme de nouveaux départs de réflexion et, possiblement, d’action.

En effet :

  1. du premier sous thème, intitulé « Questions générales », les échanges ont porté sur les questions terminologiques et conceptuelles, notamment à travers l’analyse des langages de la mondialisation, sur les fondements philosophiques, mais aussi des aspects idéologiques du discours y relatif.
  2. du second sous thème, intitulé « De l’uniformisation des systèmes économiques à l’uniformisation des systèmes politiques », le débat s’est concentré autour des problématiques de l’articulation du local et du global, du particulier et de l’universel.
  3. du troisième sous thème, intitulé « Le principe de solidarité au cœur de la théorie du village global, est sans conteste celui qui aura reçu le plus de communications. Les intervenants s’y sont surtout préoccupés de déterminer le sens théorico-pratique, ainsi que les implications normatives de la notion de solidarité.
  4. du quatrième sous thème, intitulé « Les autoroutes de l’information et la tendance à l’homogénéisation des mœurs », l’attention a porté sur la nécessité de relever que le fond du problème, et qui interpelle toutes les consciences responsables, et en particulier la conscience philosophique, concerne le grand principe au nom duquel tout voudrait se justifier, à savoir le principe de liberté, qui se transforme en alibi du libertinage.

Telle est, mesdames et messieurs, l’économie de nos travaux qui, loin d’être injonctions doctrinaires, se veulent des réflexions programmatiques.

Nous pouvons nous féliciter du climat dans l’ensemble convivial, qui a caractérisé les échanges durant tout le colloque, qui s’est présenté comme une expérience du « con-vivre », dans un monde d’interdépendance irréversible.
 MERCI DE VOTRE ATTENTION.

Source : http://www.njohmouelle.org/rephify2007/

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