On ne vous demande pas de les aimer !

C’est ce que m’a affirmé un chercheur en éducation lors d’un atelier qui réunissait autour d’une même table des experts en bonnes pratiques pédagogiques et des gens de terrain. Cet expert parlait alors des enfants, des jeunes qui fréquentent l’école. Selon lui, ils sont là pour apprendre et pour réussir. Et pour les faire apprendre et réussir, nul besoin de les aimer. Comme si c’était une perte de temps, une erreur. C’est ce que je devais comprendre. Ces propos, je les ai entendus il y a une dizaine d’années.

Enseigner, c’est aussi prendre soin du quotidien

J’avais mal accueilli cette commande parce qu’au fond, elle était irréconciliable avec ma pratique et mon expérience. J’enseignais au primaire et j’avais pour règle d’or de trouver rapidement, à chaque rentrée, quelque chose que j’aimais chez chaque élève. Je trouvais un moyen de le leur refléter pour que chacun ou chacune sache que j’allais poser sur lui ou sur elle un regard d’accueil, d’ouverture, de reconnaissance et de respect. Ça ne m’a jamais empêchée de les inviter à s’investir dans leurs apprentissages, au contraire. J’ai aussi vu plusieurs de mes collègues au fil des années prendre grand soin de la relation qu’ils établissaient avec les élèves, conscients du fait que c’est un tremplin pour les divers apprentissages.

Pour lui, ça représentait une dérive dans la compréhension de mon rôle. Cette injonction m’a convaincue du décalage parfois inquiétant qui existe entre ceux qu’on nomme les experts et qui ont droit à des tribunes pour exposer leurs données probantes et les acteurs de terrain qui, eux, sont bien loin d’obtenir l’équivalent pour présenter leur propre expertise. Cette inégalité dommageable est toujours présente. Comment, alors, en arriver à une réelle remise sur pied du système d’éducation ?

Les experts chercheurs sont pleinement reconnus comme tels, consultés de plein droit, invités aux discussions sur l’éducation. C’est nécessaire. Par ailleurs, les experts de terrain n’ont pas de reconnaissance officielle qui en ferait des partenaires incontournables dans les discussions qui visent l’excellence en éducation. C’est lamentable.

Cette exclusion conduit à de fausses routes autrement évitables et contribue à perpétuer la détérioration des relations dans le milieu de l’éducation. Au Québec, il manque vraiment, entre autres, une association ou un conseil des enseignantes et des enseignants, officiellement reconnu pour mettre fin à cette aberration et pour commencer enfin à travailler ensemble, dans le respect de tous les partenaires, pour apporter les transformations nécessaires.

Enseigner, c’est bien plus que les crises récurrentes

Ce n’est pas tout. Ne pas tenir compte des gens de terrain conduit à ne mettre en évidence que les situations difficiles en enseignement. On entend parler de façon récurrente des différentes crises qui minent le milieu à travers les batailles des syndicats avec les différents paliers administratifs. La profession ne s’en porte pas mieux. Et pendant qu’on est prisonniers de ce mode de relations qui a grand besoin d’évoluer, on tait et on ignore tout ce qui fait la beauté de ce métier. Les enseignantes et les enseignants ont autre chose à dire, des solutions à proposer. Les syndicats et les administrations sont nécessaires, mais pas à l’exclusion des personnels scolaires et de leur expertise incontournable.

Puis, la société en général, les parents, les étudiants et les élèves en particulier ont besoin de savoir que, malgré tout ce qu’ils entendent, pour un très grand nombre de leurs enseignantes et enseignants, l’enseignement est le plus beau métier du monde. En ces temps de pénurie comme en temps normal, ce serait important de le laisser dire.

Enseigner, c’est vivre aux premières loges de l’évolution de la société. C’est aimer apprendre et être témoin d’apprentissages en partageant souvent avec des élèves, des parents et des collègues des moments de dépassement. C’est se sentir énergisé par tout le plaisir que ça apporte. C’est créer et recréer un milieu de vie propice à l’engagement, à la recherche de la vérité, à l’épanouissement, à l’ouverture. Enseigner, c’est aimer la vie et s’inscrire dans la continuité comme dans le renouvellement.

Et, oui, enseigner, c’est aussi et probablement d’abord et avant tout aimer ceux avec qui on partage une année de notre vie.

Bien administrer la profession, ce serait dépasser les vieilles habitudes de domination qui ne tiennent pas compte des vrais besoins, remettre vraiment les élèves au centre des préoccupations et donner une véritable reconnaissance aux enseignantes et aux enseignants en faisant une place incontournable à leurs savoirs d’expérience.

Source : Joanne Teasdale, https://www.ledevoir.com/opinion/idees/768611/idees-on-ne-vous-demande-pas-de-les-aimer

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