La Mort : Échos d’un colloque pluridisciplinaire à Yaoundé

Du 13 au 15 novembre 2024, un colloque international pluridisciplinaire intitulé « La mort : écriture plurielle d’une géographie de la vie » s’est tenu à l’École Normale Supérieure de Yaoundé. Placé sous le haut patronage du Président de la République et organisé par la Société Camerounaise de Géographie (SCG), cet événement a rassemblé plus de 300 chercheurs venus du Cameroun, d’Afrique, d’Europe et d’Amérique du Nord. Durant trois jours, le thème de la mort a été disséqué sous différentes perspectives dans une ambiance intellectuelle intense, où les débats et réflexions ont exploré les profondeurs de ce phénomène universel.

Une thématique audacieuse

La mort, sujet souvent redouté mais inéluctable, a été au cœur des discussions sous le prisme de plusieurs disciplines. Ce colloque, initié par le professeur René Joly Assako Assako, a permis d’explorer la mort à travers des angles variés : la géographie, la sociologie, l’anthropologie, le droit, la médecine et l’économie. L’objectif était de décloisonner la réflexion géographique traditionnelle pour y intégrer la mort comme un élément central de la vie sociale, culturelle et économique.

Cet événement, en traitant de la mort comme un objet d’étude scientifique, a montré comment ce phénomène, souvent perçu comme une rupture, peut en réalité structurer les sociétés humaines. La mort, loin d’être un simple tabou, est au cœur de la compréhension de la vie elle-même.

Les ateliers du colloque : une diversité d’approches

Les échanges intellectuels ont été structurés autour de sept axes principaux, offrant une mosaïque de perspectives. Le premier axe, de nature géographique, a mis en lumière la manière dont la mort façonne les espaces de vie, notamment à travers la gestion des cimetières et des espaces funéraires. Des chercheurs ont présenté des études de cas sur la cartographie des cimetières en milieu urbain au Cameroun et au Gabon, soulignant les enjeux territoriaux et sociaux liés à la mort. La géographie de la mort ne se limite pas à un simple espace physique, mais s’étend à des questions symboliques et politiques.

Sur le plan socio-anthropologique, l’accent a été mis sur les rituels funéraires et les perceptions culturelles. Dans plusieurs sociétés africaines, la mort renforce souvent les liens entre les vivants et les morts. Des pratiques telles que le culte des ancêtres et les cérémonies funéraires permettent de maintenir cette relation, consolidant ainsi le rôle social de la mort. Les funérailles sont non seulement un moment de deuil, mais aussi une célébration du passage, un rite de passage où les vivants affirment leur identité et leur place dans la continuité de la vie.

L’économie de la mort : un moteur de développement

Un autre aspect crucial exploré lors du colloque fut l’économie de la mort. Les chercheurs ont montré comment la mort, loin d’être un événement purement personnel et familial, est devenue un enjeu économique majeur. Les services funéraires et les produits associés représentent un secteur en pleine expansion en Afrique subsaharienne. La marchandisation de la mort, avec la multiplication des entreprises de pompes funèbres et des services connexes, témoigne de l’évolution de la société africaine contemporaine face à ce phénomène.

Une présentation marquante a révélé l’impact des cérémonies funéraires sur les économies locales. Les obsèques, souvent fastueuses et coûteuses, mobilisent d’importants moyens financiers et deviennent un moteur de l’économie. Les enjeux économiques de la mort englobent non seulement l’organisation des funérailles, mais aussi la construction d’espaces commémoratifs et l’entretien des sépultures.

Le droit et la mort : une perspective juridique

L’aspect juridique de la mort a également fait l’objet de discussions approfondies. La gestion des biens des défunts, les conflits d’héritage et les litiges autour des cérémonies funéraires sont des questions récurrentes dans de nombreuses sociétés africaines, notamment au sein des communautés bamileke et mbos du Cameroun. La mort devient alors un terrain de négociations, de pouvoir et de conflit, avec des implications sociales et familiales importantes.

Avancées biomédicales et questions éthiques

Les sciences biomédicales ont aussi été mobilisées pour comprendre les avancées technologiques et les questions éthiques liées à la mort. Les soins palliatifs, la dignité des mourants et les défis posés par les nouvelles technologies de prolongation de la vie ont suscité des réflexions sur la manière dont la mort est redéfinie dans le cadre médical contemporain. Les médecins, en étant en contact permanent avec la mort, deviennent les gardiens de ce passage ultime, soulevant ainsi des interrogations sur les limites de l’intervention technologique dans la fin de vie.

Hommage aux chercheurs disparus

Le colloque a également été l’occasion de rendre un vibrant hommage aux enseignants-chercheurs décédés, dont l’héritage continue de nourrir la réflexion académique. Des figures emblématiques comme Fabien Eboussi Boulaga et Michel Tchotsoua ont été célébrées pour leur contribution exceptionnelle à la pensée philosophique et géographique. Ces moments de commémoration ont été empreints de solennité et ont symbolisé la transmission intergénérationnelle du savoir.

Une clôture porteuse d’avenir

Le colloque s’est clôturé dans une ambiance émouvante, marquée par les interventions du Président de la Société Camerounaise de Géographie, le professeur René Joly Assako Assako, et d’autres responsables académiques. Les participants ont salué la richesse des échanges et ont promis de poursuivre ces réflexions lors des prochaines éditions, avec un rendez-vous fixé en 2026. Le thème choisi pour le prochain colloque, « La géographie du vivre ensemble », promet d’explorer de nouvelles pistes de réflexion, particulièrement pertinentes dans un contexte mondial de tensions identitaires et territoriales.

Une géographie de la vie et de la mort

En définitive, ce colloque international sur la mort a ouvert des perspectives inédites en posant les bases d’une réflexion transdisciplinaire autour de ce phénomène universel. La mort, loin d’être perçue comme une fin absolue, est un élément central de la vie sociale et culturelle. À travers les rituels, les croyances, les espaces funéraires et les dynamiques économiques, la mort continue de structurer les sociétés humaines.

La Société Camerounaise de Géographie, en organisant ce colloque, a contribué à renouveler le regard porté sur la mort, en soulignant qu’elle n’est pas seulement un événement personnel, mais une réalité sociale qui transcende les époques et les cultures. Ce colloque a ainsi posé les jalons pour de futures recherches transdisciplinaires, qui continueront à éclairer la manière dont la mort façonne nos sociétés et nos imaginaires.

Jean Bosco BELL

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