L’économie camerounaise est-t-elle condamnée à l’immobilisme ?

Dans le contexte national et international actuel, toute relance économique du Cameroun suppose pour le pays de basculer vers un Etat stratège et trouver urgemment une nouvelle voie dans le concert économique mondial qui se dessine.

Alors que le rideau se referme sur la Coupe d’Afrique des Nations Total Energies Cameroun 2021, de nombreux camerounaises et camerounais s’interrogent à juste titre sur les retombées à attendre à court, moyen et long terme de l’organisation par le pays de cette compétition majeure du football africain et plus largement des investissements consentis pour y parvenir. En effet, la morosité économique ambiante accentuée entre autres par les conséquences inflationnistes sur l’économie camerounaise de la surchauffe récente post-Covid doit nous interroger sur l’avenir de l’économie camerounaise. Pour preuve, en 2020, le Cameroun a connu sa première récession depuis trois décennies. En effet, alors que la stratégie nationale de développement (SND30) entend porter le taux de croissance moyen annuel à 8%, les performances pour les années 2020 (-3,6%) et 2021 (3,3%) ne sont guère encourageantes.

Dans le même temps, au niveau mondial, des mutations géopolitiques et idéologiques sont en cours à la faveur à la fois de la fin annoncée du système de Bretton Woods et plus largement du déclin du capitalisme occidental traditionnel ; mais surtout, avec la récente COP26, la transition amorcée vers une nouvelle ère, celle du développement durable, va désormais s’accentuer. De même, au niveau continental, les perspectives d’évolution du commerce intracontinental dans le cadre de la Zone de Libre-Échange Africaine (ZLECAF) restent incertaines et surtout, l’Union Africaine tarde à se doter d’une politique africaine commune en matière d’éducation et de recherche scientifique ou encore de défense.

L’impératif des réformes pour une relance pérenne

Dans un tel contexte, toute relance économique du Cameroun suppose pour le pays de trouver urgemment une nouvelle voie dans ce concert économique mondial qui se dessine. Ainsi, le Cameroun engagera-t-il une transformation structurelle de son économie au-delà des slogans et de la « cosmétique évènementielle » afin de la rendre attractive et compétitive mais surtout de s’imposer enfin comme le grenier de la sous-région et de l’Afrique voire du monde ? Telle est l’ambition devant mobiliser décideurs publics et privés camerounais.

Pour ce faire, une réforme en profondeur de notre gouvernance économique doit être engagée sur les plans institutionnel et humain. Elle permettra de stopper la gabegie en cours et neutraliser l’« épée de Damoclès » de plus en plus tranchante qui menace, par l’endettement, le sous-emploi et la corruption, d’hypothéquer durablement l’avenir de notre jeunesse. Ainsi, sur le plan institutionnel notamment, et dans un pays qui, sur les dix dernières années, a toujours figuré parmi les 25 pays au monde où le climat est le moins favorable aux affaires, une refonte du Cameroon Business Forum, principale plateforme d’échanges entre le secteur public et privé, sera inéluctable pour basculer vers un Etat stratège et facilitateur. De plus, l’Etat camerounais devra vitaliser son capital humain par une intégration de plus en plus large de talents du secteur privé au sein de la haute fonction publique. L’éthique devra par ailleurs revenir au cœur de la gestion de la chose publique, encouragée en cela par une vaste initiative initiée par une autorité indépendante à créer, à l’instar de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique en France. De telles réformes aboutiront ainsi nécessairement non seulement à relancer un nouveau dialogue public-privé en vue d’une meilleure appropriation, révision et évaluation de notre feuille de route nationale « SND30 » mais aussi et surtout à assainir durablement le climat des affaires au Cameroun.

En outre, notre ingénierie de projets aussi bien sur les plans financier, technique et humain doit être repensée pour permettre des investissements massifs et viables en matière d’infrastructures de santé, d’éducation, de transports, de technologies de l’information ou de la communication ou encore d’énergie. Pour preuve, au Cameroun, seulement 20% des localités en zones rurales sont connectées au réseau électrique camerounais. Dès lors, l’exemple du Bureau National d’Etudes Techniques et de Développement (BNETD) ivoirien est édifiant. De même, la mise sur pied plus récente dans plusieurs pays africains à l’instar du Sénégal et du Togo de Delivery Units, véritables unités spéciales en charge de la structuration, la planification, la mise en œuvre et l’évaluation de projets et politiques publiques au niveau national ou local pourrait également changer la donne au Cameroun. Ainsi, et s’appuyant par ailleurs sur les externalités positives attendues des « 3D » (démographie, décentralisation et digitalisation), le Cameroun pourrait se doter des fondamentaux infrastructurels nécessaires pour permettre à notre potentiel matériel (ressources naturelles, etc.) et immatériel (savoirs traditionnels, etc.) de créer de la valeur par tous.tes et pour tous.tes.

Transiter vers une économie circulaire pour une prospérité partagée

Enfin, seule une transition vers une économie circulaire et non plus linéaire sera vectrice de prospérité partagée. L’enjeu à travers ce changement de paradigme est de basculer vers un système de production et de consommation alliant préservation du capital naturel et prospérité économique. Ainsi, de nouvelles chaînes de valeurs productives, inclusives et responsables émergeront autour de clusters, déjà à l’œuvre dans le secteur informel. Nos think tanks sont donc invités dès maintenant à repenser l’avenir de l’entreprise, de la propriété, du travail ou encore du contrat en terre camerounaise et ce à l’aune de ce nouveau modèle économique. Seule une telle démarche donnera tout son sens au « Made in Cameroon ». Elle devra d’ailleurs être adossée à une stratégie nationale d’innovation portée par une institution à l’image de la DARPA américaine (Agence pour les projets de recherche avancée de défense ), plateforme par excellence du partenariat public privé aux Etats-Unis . De là émergeront inexorablement des champions nationaux à l’instar des leaders agro-industriels mondiaux (Cargill, ABImbev, Danone, Yili), pour révéler aux yeux du monde le génie créatif camerounais mais surtout sublimer une économie par tous.tes et pour tous.tes.

En toile de fond de tout ceci, un défi majeur nous attend tous.tes : d’ici à 2030, plus d’un milliard de personnes, vivront dans une centaine seulement de très grandes villes. Ces personnes devront donc, autour de pôles urbains durables, se nourrir, se loger, s’éduquer, travailler ou encore se soigner dans des zones urbaines aujourd’hui largement sous-équipées à ces fins. Fort heureusement, impossible n’est pas camerounais et en la matière, l’ « Afrique en miniature » devra un fois de plus assumer son leadership et rugir comme un lion indomptable!

Jacques Jonathan Nyemb*

(*) Avocat d’affaires, Président du Think Do Tank The Okwelians, Membre du Conseil d’administration du GICAM, la principale organisation patronale du Cameroun.

Source: https://afrique.latribune.fr/think-tank/tribunes/2022-02-16/l-economie-camerounaise-est-t-elle-condamnee-a-l-immobilisme-904202.html

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