« Le moi est haïssable », les limites de la condamnation pascalienne
Dans ses Pensées, Pascal formule une sentence brutale : « Le moi est haïssable ». Par cette formule, il dénonce la tyrannie de l’amour-propre qui pousse l’homme à se mettre au centre du monde, à rechercher gloire et reconnaissance, au détriment de la vérité et des autres. Pourtant, si la formule est frappante, elle ne va pas sans limites.
La première tient à son caractère réducteur. En identifiant le moi à l’orgueil et à l’égoïsme, Pascal néglige la part constructive de l’individualité. Le moi n’est pas seulement une prison narcissique : il est aussi le lieu de la créativité, de l’altruisme, de l’engagement pour autrui. L’individu peut se dépasser, se mettre au service d’une cause, et même offrir son moi en don.
Ensuite, cette condamnation s’ancre dans une vision religieuse particulière. Pour Pascal, marqué par le jansénisme, le moi est corrompu par le péché originel et ne peut être sauvé que par la grâce divine. Or, cette perspective théologique limite la portée universelle de la formule. Les humanistes, les rationalistes ou les existentialistes ont montré, chacun à leur manière, que le moi pouvait être un espace de liberté, de dignité et de responsabilité.
Une troisième limite est d’ordre logique et existentiel. Celui qui affirme « le moi est haïssable » parle encore à partir de son propre moi. La formule se mord la queue et pose la question : faut-il haïr absolument ce par quoi nous pensons, décidons et existons ?
En définitive, Pascal met utilement en garde contre l’orgueil démesuré de l’homme, mais sa formule radicale ne saurait valoir comme vérité absolue. Le moi n’est pas seulement haïssable : il est aussi le fondement de notre singularité et de notre ouverture aux autres.



Arsène BAMBI KONDO
