Crise bancaire aux États-Unis. Rien n’est réglé…

Le 10 mars 2023, la Silicon Valley Bank (SVB), la banque U.S des startups, fait faillite au terme d’une crise de confiance et d’un bank run, soit un mouvement de panique durant lequel les clients d’une institution bancaire retirent leurs dépôts. Au départ des ennuis de SVB, on retrouve la croissance des valeurs technologiques et l’important flux d’investissements dans ce secteur. C’est ainsi que les dépôts auprès de SVB sont passés de 102 à 189 milliards de dollars de 2020 à 2021. Ces liquidités ont été placées dans les actifs jugés les plus sûrs à l’époque, c’est-à-dire les bons du Trésor alors faiblement rémunérés. A cette époque, la Fed, dans la foulée de la crise Covid, portait à bout de bras les marchés financiers via ce le quantitative easing (QE).

Assouplissement

Celui-ci consiste, pour une banque centrale, à acheter sur les marchés des obligations publiques, ce qui a pour effet d’en faire baisser le taux d’intérêt et concomitamment, d’en augmenter la valeur d’échange. Pour comprendre ce point, il faut savoir qu’il existe une relation inversée entre le prix et le taux d’intérêt d’une obligation. Cela est intrinsèquement lié au fait qu’une obligation est un coupon de dette. Or, le taux d’intérêt d’un titre correspond à sa prime de risque. Si une forte demande existe pour des obligations, elles sont peu risquées.

Dès lors, leur prix augmente et le niveau général des taux baisse. En Europe, l’ampleur de l’assouplissement quantitatif de la BCE fut telle que pour certains Etats (dont la Belgique), elle s’est traduite par un taux négatif sur leurs dettes publiques à court terme.

A contrario, on comprend bien que si le QE s’arrête, les taux d’intérêt des obligations remontent et leurs prix baissent. Pour SVB qui a misé sur cette classe d’actifs, la fin du QE a représenté un véritable cauchemar puisque son portefeuille enregistrait des pertes importantes. Pour faire face à ces dépréciations massives, SVB a tenté de se recapitaliser. Echec total. La chose était prévisible en raison du coup de froid constaté, par ailleurs, dans la filière des NTIC. La suite est connue. SVB a été contrainte de revendre ses Bons du Trésor et son cours de bourse a plongé. Les clients de la banque, principalement des entreprises de la Silicon Valley, ont alors repris leurs billes.

Après SVB, ce fut au tour de Crédit Suisse de connaître des difficultés. Autant le cas de SVB permet de comprendre les effets de la fin du QE, autant celui de Crédit Suisse nous renseigne sur le poids de la finance de l’ombre (shadow banking). Le shadow banking, puisqu’il ne collecte pas l’épargne du public, correspond à un segment des activités du secteur financier non- régulé. Toutefois, il participe au financement de l’économie à travers la collecte de fonds. Son fonctionnement consiste, en effet, à lever des capitaux sur les marchés ou à emprunter auprès de banques classiques pour ensuite fournir des capitaux. Après la crise de 2007-2008, les banques ont été tenues de revoir à la hausse leurs fonds propres pour compenser leur prise de risque. Le secteur de la finance de l’ombre a alors pris du risque pour le système dans son ensemble. Dans le cas de Crédit Suisse, la liaison avec le shadow banking a eu pour vecteur Archegos Capital Management qui était un fonds d’investissement états-unien chargé de gérer la fortune de son fondateur (dans le jargon, on parle de family office) et disposait initialement de 10 milliards de dollars d’actifs mais détenait des positions pour 50 milliards. Un différentiel de 1 à 5 illustre évidemment une grosse prise de risque. A l’origine, Archegos travaillait sur les marchés avec un instrument particulier, en l’occurrence les Total Return Swaps (TRS).

Ces derniers consistent pour un investisseur (lire, spéculateur) à s’endetter à taux garanti pour se procurer des titres à revenus variables (typiquement, des actions). Il s’agit là d’un schéma classique de haute voltige financière puisque l’opération consiste à emprunter en faisant le pari d’une hausse du titre convoité afin de rembourser l’emprunt. Si le cours des actions achetées augmente, les bénéfices sont supérieurs aux intérêts à rembourser. Dans le cas contraire, l’investisseur ne parvient pas à honorer sa dette. C’est ce type d’actifs qui a été financé par le Crédit Suisse auprès d’Archegos qui, il y a deux ans, a réalisé de mauvaises anticipations des cours au point de tomber en faillite. Crédit Suisse a ainsi perdu 5,5 milliards de dollars[1] en ligne le 18 mars 2023.

C’est ainsi qu’UBS a pu racheter le Crédit Suisse à un prix de braderie (3 milliards de francs suisses). Le deal incluait également de généreuses garanties si des éléments dangereux étaient, d’aventure, découverts dans les livres de comptes. De son côté, pour rassurer les marchés, la Fed a fini par accorder, via l’extension d’une ligne habituelle de prêts à très court terme, 152 milliards de dollars aux banques US durant la semaine qui a suivi l’effondrement de SVB contre « à peine 5 milliards une semaine auparavant »3.

Implications macros

Pour prendre la pleine mesure de l’urgence, on mentionnera que le problème de dépréciation d’actifs auquel s’est heurté SVB se retrouve, en fait, dans les bilans de toutes les banques U.S. Ces derniers contenaient 620 milliards de dollars de pertes non-comptabilisées sur les portefeuilles obligataires fin 2022. Ce montant équivaut à 33% de leurs réserves en fonds propres. Certes, les autres banques sont, pour l’heure, moins en danger que SVB. Il n’en reste pas moins que le relèvement des taux a globalement fragilisé le système.

On peut lire de-ci de-là que ces pertes, puisque non-réalisées, sont purement théoriques et ne deviendraient un souci réel que si les banques vendaient ces actifs dépréciés4. L’ennui réside surtout dans le fait que les banques ont financé l’achat de ces obligations aujourd’hui dépréciées avec l’argent des déposants. Or, quand une banque détient une obligation, cette dernière se trouve à l’actif du bilan et en face, il faut qu’on retrouve le même montant dans les dépôts au passif. Si les obligations ne rapportent rien, les dépôts posés en vis-à-vis ne peuvent offrir un joli rendement. Or, les grandes banques US disposent de structures d’actifs plus diversifiées car elles occupent des départements de trading à plein temps pour profiter de toutes les opportunités du marché. Par conséquent, les clients des petits établissements les quittent pour migrer vers les grands.

C’est ainsi que les banques régionales US ont perdu 108 milliards de dollars de dépôts dans la semaine qui a suivi l’effondrement de SVB. Pendant ce temps, les dépôts dans les 25 plus grandes banques du pays ont augmenté de 120 milliards de dollars. Le danger pour les petites banques consiste à alors se retrouver avec des actifs non-financés par leurs passifs. Cet état de choses est susceptible de provoquer un déséquilibre structurel pour cette catégorie d’établissements.

Pour préserver l’équilibre de leurs structures bilantaires, les petites banques, si, du moins, ce mouvement d’exode continue, seront contraintes de vendre les obligations dépréciées et d’actualiser leurs pertes. Si une telle hypothèse se concrétise, ces banques subiront de lourdes…

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Source : Xavier Dupret, Avril 2023, https://www.acjj.be/crise-bancaire-aux-etats-unis-rien-nest-regle/


[1] Wall Street Journal, Inside Credit Suisse’s $5.5 Billion Breakdown, 8 juin 2021.

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