Reconnaissance académique, le monde universitaire célèbre le Pr. Charles Etienne LEKENE DONFACK
« Les Mélanges », vieille tradition universitaire consistant à rendre hommage, par la production d’un ouvrage collectif, aussi bien des universitaires que des praticiens, à un père incontesté de la science qui tire sa révérence. D’entrée de jeu cette précision a été faite par le modérateur de la cérémonie, à l’attention des convives les moins doctes. « Les Mélanges », précisa plus tard le Pr. Luc Sindjoun, « sont des ouvrages sans objet mais avec comme principal sujet le dédicataire ». Par ces propos liminaires, le décor était très vite planté.

C’était ce jeudi 02 mai 2024, dans une salle de la tripartite du palais des congrès de Yaoundé, enjolivée de roses au décor féal, que le Pr. Charles Etienne LEKENE DONFACK a été officiellement célébré par ses pairs dans une cérémonie haute en couleur.
En présence du Ministre d’Etat, Ministre de l’Enseignement Supérieur, Chancelier des ordres académiques et d’un parterre impressionnant d’autres personnalités issues de multiples corporations professionnelles, l’ancien Ministre d’Etat, Ministre de la ville et du développement urbain (2002 – 2006) s’est dit très ému par cette marque de reconnaissance que lui a offert l’université camerounaise.
A quelques choses prêtes, il est l’un des derniers pères fondateurs appartenant à la génération des « monstres sacrés » qui ont succédé à la coopération française et anglaise. Placée sous le signe des témoignages, les intervenants ont chacun narré quelques scènes marquantes de leur connaissance du discret personnage.
Au pupitre, Ils se sont exprimés

Ouvrant le bal des allocutions, le Pr. Jean Du Bois DE GAUDISSON qui a envoyé une note de lecture lue par le Professeur Stève Thierry BILOUNGA, de l’Université d’Ebolowa. Cette note de lecture du professeur de Bordeaux précisait que ces Mélanges « feront date ». Ce fut ensuite le Pr. Gérard PEKASSA NDAM, l’un des 84 contributeurs et co-directeur des Mélanges publiés en deux volumes, qui est allé au pupitre pour présenter une seconde note de lecture desdits ouvrages, laquelle a retracé la contribution magistrale du dédicataire à la recherche universitaire camerounaise et africaine par ricochet. Une influence aussi « indélébile » qu’ « irréfragable », précisait l’orateur. Pour corroborer ces propos, le Pr. Gérard PEKASSA NDAM n’a pas manqué pas de rappeler que la seule idée de production de ces Mélanges avait vu se bousculer au portillon des contributeurs, 124 contributions provenant de 09 pays dans le monde, chose qui n’a pas simplifié le critère de sélection, d’où une publication en deux volumes intitulé : « Droit et Service public ». L’Université africaine s’est mobilisée pour magnifier la pluridisciplinarité, ou la « polyphonie scientifique », pour reprendre le MINESUP qui présidait la cérémonie, de l’un de ses « immortels » fils. C’est là une preuve indéniable, comme s’il en fallait encore, de l’influence atemporelle de ce discret « dinosaure » de la science.
Viendra ensuite le propos du Recteur de l’Université de Douala, le Pr. Magloire ONDOUA, venu exprimer sa gratitude envers son maître, au propre comme au figuré, avec qui il a dit entretenir de solides relations de fraternité. C’est tout naturellement que son propos s’est articulé autour des croustillantes anecdotes que l’étudiant qu’il était alors, garde de son enseignant dont « l’humilité continue de l’impressionner », en dépit des hautes fonctions administratives qu’il a occupées et continue de le faire, va-t-il confier.
Sur le plan scientifique, le Recteur de l’Université de Douala, a présenté les contours historiques qui ont présidé à la rédaction de la thèse de doctorat du prince de Fossong-wentcheng intitulée : « L’expérience du fédéralisme camerounais : les causes et les enseignements d’un échec », soutenu en 1979 à l’Université de Clermont Ferrand. Saluant tout d’abord le courage dont avait fait montre à l’époque le jeune doctorant pour s’attaquer à un sujet d’une telle sensibilité politique, l’orateur évoquait également un certain nombre d’articles du héraut du jour, notamment celui rédigé en 1998 et portant sur : « Le renouveau de la question fédérale au Cameroun », pour signifier son goût prononcé de l’audace et/ou du « risque ». Ses travaux portant sur « La fonction publique et la légalité d’exception au Cameroun » ou ses recherches en droit constitutionnel, avec comme point d’orgue, sa contribution pertinente à la rédaction de la Constitution camerounaise du 18 janvier 1996, ont été évoqués pour saluer la transversalité scientifique de l’actuel membre du Conseil Constitutionnel.
Se laissant aller à un commentaire sur son ouvrage majeur intitulé : « Finances publiques camerounaises », paru en 1987 aux éditions Berger-Levrault, le Pr. Magloire ONDOUA en fera tout simplement « un bréviaire éternel » dont le temps et son actualité permanente en ont fait le « principal bréviaire doctrinal des finances publiques » au Cameroun et en Afrique.
L’exposé de Madame le Professeur Danièle DARLAN, non moins ancienne Présidente de la Cours Constitutionnel de la République Centrafricaine, passée à la postérité pour avoir opposé un non catégorique au président Faustin Archange TOUADERA, dans ses velléités de changer la Constitution pour se maintenir au pouvoir, a porté sur « le juge constitutionnel et le pouvoir politique ». Commentant avec humour son éviction de la Cours Constitutionnel Centrafricaine qui s’en ait suivi comme conséquence de sa probité, elle a suscité une salve d’applaudissements, teintée de rires. Elle a clôturé son propos par une série de conseils adressés à la fois aux onze sages du Conseil Constitutionnel camerounais, mais aussi à l’exécutif afin qu’ils sachent chacun maintenir leur relation d’interdépendance sans pour autant se laisser mutuellement corrompre. Elle a relevé dans son exposé que « Mal géré, les juges constitutionnels peuvent organiser une guerre dans un pays » comme en témoignent les cas retentissants du Sénégal et de son pays la République Centrafricaine qu’elle a cités en exemple.
Une cérémonie riche en personnalités

Au prétoire, se sont également succédés le Pr. Jacques BIAKAM, le Pr. Nadine MACHIKOU, le Pr. Éric Mathias OWONA NGUINI qui s’est exprimé à double titre, d’abord au nom et pour le compte de son défunt père, le Pr. Joseph OWONA, qui a laissé un témoignage émouvant écrit à l’attention de son collègue, ami et frère le dédicataire du jour. S’exprimant ensuite et enfin à son nom personnel, le Pr. Éric Mathias OWONA NGUINI s’est lancé dans une séance improvisée d’hommage où il a tenu à marteler son attachement quasi filiale avec le dédicataire du jour dont la proximité avec son regretté père l’a fait jouer un rôle de médiateur au sein de leur famille.
Le Pr. Luc SINDJOUN a quant à lui, félicité « l’empreinte indélébile » de ce maître incontesté de la Science. Puis, il a pris sur lui de narrer les circonstances et le suspense particulièrement éprouvants qui ont présidé à la préparation de l’agrégation au CAMES de l’ancien député de la Menoua. Dès lors, il devint facile de comprendre la raison pour laquelle l’intéressé se hissa au rang de vice-major en droit public et en science politique. Pour clôturer son propos, le Pr. Luc SINDJOUN a magnifié la capacité singulière du natif de la Menoua à « rassembler les contraires » et à faire « cohabiter dans une même salle, sur un même projet les personnes qui ne se saluent pas ».
Le MINESUP au pupitre

Puis vint le Pr. Jacques FAME NDONGO, après une attente fatidique, laquelle attente en valait la peine au regard de la maîtrise particulièrement exquise de l’art oratoire dont a fait étalage le Chancelier des Ordres académiques à l’endroit de son « cher frère » et « ami », « Efôh », le « Prince de Fossong-wentcheng », groupement situé dans le Département de la Menoua, à quelques 21 km de la ville de Dschang. Le Ministre d’Etat, littéraire de son état, a beaucoup magnifié l’amitié de 60 ans qui le lie à l’ancien Doyen de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université de Douala.
Sous le regard de ses collègues du gouvernement notamment le Pr. Narcisse MOUELLE KOMBI et du Ministre délégué chargé de la justice, Son Excellence Jean De Dieu MOMO, le Chancelier des ordres académiques a émerveillé l’assistance par sa prestance. Pour aller plus en profondeur, le Pr. Jacques FAME NDONGO a salué le brillant parcours de l’un des rares hommes politiques camerounais qui a exercé les trois pouvoirs, si tant est que la Conseil Constitutionnel est considéré comme une protubérance du pouvoir judiciaire, mentionne-t-il, sous réserve de l’approbation des initiés en la discipline. Dans un style mêlant lyrisme, poésie et langage douillet, cet esthète de la stylistique et de la sémiotique française, a souhaité que ces Mélanges marquent seulement un « accomplissement important pour un universitaire d’exception », mais pas « le parachèvement » de son œuvre académique.
La parole au dédicataire

Prenant enfin la parole, le dédicataire du jour, le Pr. Charles Etienne LEKENE DONFACK, n’a pas manqué de remercier à sa juste valeur l’ensemble des précédents orateurs pour leurs témoignages aimables à l’endroit de sa « modeste personne ». Ses remerciements sont également allés à l’endroit de sa pharmacienne d’épouse, le Dr. LEKENE Rose, « son médecin personnel », comme il l’appelle affectueusement qui, bien que connaissant toutes les facettes du personnage, y compris le côté moins dithyrambique de sa personne, ne ménage pas ses efforts au quotidien pour l’encadrement de la famille et ce depuis 47 ans, s’est-il félicité.
Revenant sur l’objet de la cérémonie, l’ancien conseiller municipal à la Commune de Dschang a dit avoir accepté l’honneur de ses pairs et de l’Université camerounaise, exprimé à travers ces Mélanges pour ne pas rompre avec « ces vertueuses chaînes fondatrices des royaumes qui caractérisent la tradition universitaire ». Il a renchéri que « la tradition et l’honneur constituent le fondement des royaumes » auxquels son attachement est connu de tous, lui qui est fils de roi.
Dans la suite de son allocution de circonstance, il a profité pour prodiguer quelques conseils à ses jeunes collègues. Pour ceux des aspirants au sacerdoce professionnel et non moins exaltant d’enseignant d’université, il les a invités à cultiver quotidiennement quatre valeurs cardinales qui ont guidé et continuent encore de guider « sa carrière » et « sa vie » que sont la recherche constante du « juste », du « beau », du « bon » et du « légal ». Poursuivant son propos, il a invité la nouvelle génération d’universitaires à procéder à son « assassinat scientifique » condition sine qua non de l’évolution de la science.
Revenant à ses premiers amours à savoir le droit constitutionnel et les finances publiques qui suscitent des questions citoyennes permanentes, le maître a fait quelques propositions de réformes susceptibles de bonifier le déploiement de l’Etat. Sur le droit constitutionnel, la question de la forme de l’Etat reste prégnante. Du fédéralisme à l’Etat unitaire décentralisé, il s’agit de faire prévaloir la « subsidiarité » et la « proximité » dans la recherche d’une administration « équitable et performante ». Pour se faire, il est impérieux, a-t-il indiqué, d’aller au-delà du transfert des compétences et de transférer les moyens financiers pour que la décentralisation soit pleinement effective. En matière de finances publiques, le maître a convoqué une série de lois ( Lois de 1974, Constitution de janvier 1996, Régime financier de 2018 et tout texte qui confère à la chambre des comptes de la Cours Suprême, le pouvoir suprême en matière de contrôle juridictionnel, externe des finances publiques.
Pour lui, au regard de cette batterie de textes, aucun pouvoir, aucune administration, aucun pouvoir public, encore moins une administration de souveraineté ne bénéficie d’une sorte « d’immunité financière » car il s’agit de contrôler non pas des personnes mais de suivre l’utilisation de l’argent public au franc prêt dans un environnement où « la redevabilité est la règle cardinal ». Dans le sillage de son assassinat scientifique, il les a enjoints à imaginer la production d’une « encyclopédie des finances publiques camerounaises », à laquelle le Ministère des finances attache un grand prix.
Avant de baisser définitivement les rideaux de cette cérémonie émouvante et savante, le Pr. Gérard PEKASSA NDAM a de manière symbolique, conduit l’équipe des directeurs à la remise solennelle des deux volumes des Mélanges au héros du jour, le Pr. Charles Etienne LEKENE DONFACK.











Nguelifack Vijilin Cairtou